L’acteur, 69 ans au compteur, continue d’imprimer l’écran avec son charisme fou et sa légende d’imperator. C’est lui l’arme fatale de ce péplum agité.
"Quand j’ai fait le premier Gladiator", raconte Ridley Scott, "je me suis demandé : Où sont les vieux salopards ? Richard Harris est vivant ? OK. Oliver Reed ? OK. David Hemmings ? Parfait. Reed était très excentrique, mais quelle personnalité ! Avec eux, vous avez quelque chose devant la caméra que vous ne pouvez pas programmer. Je pouvais me planter à tout moment, mais la valeur de ce qu’ils apportaient à l’écran était inestimable. Vingt ans plus tard, j’avais besoin pour Gladiator II d’un acteur tout aussi formidable, mais encore plus, j’avais besoin d’un vrai bad guy. J’ai pensé à Denzel. Je lui ai envoyé une peinture de Jean-Léon Gérôme : c’était l’illustration d’un Noir spectaculaire, avec des muscles épais, vêtu d’étoffes orange et bleues. Un seigneur, un riche marchand, de toute évidence. Je lui ai dit :'Voilà, ça, c’est ton personnage.' Et il m’a répondu : 'OK, je le fais.'"
Un peintre pompier aura donc eu raison de Denzel qui doit être, dans l’esprit de Ridley Scott, à la fois l’héritier des monstres sacrés british et une force de la nature. De fait, quand il rentre dans le champ de Gladiator II, le film change de nature. Jusqu’à son arrivée, Scott racontait le parcours d’un jeune combattant devenu l’esclave de Rome, un néo-Ben-Hur épique et réjouissant. Et puis, tout à coup, plus rien n’existe. Denzel mange le cadre. Son petit rictus, sa lassitude un peu jouée, et cette manière de traîner sur des mots ou des expressions.
Dès qu’il pénètre dans l’arène, le film lui appartient. Scott explique qu’il voulait un méchant, mais dans la première partie, il s’agit d’abord d’un marchand d’esclaves qui passe un pacte avec le héros. Il joue Macrinus (Macrin), un personnage historique, Maure romanisé d’origine modeste et qui deviendra empereur. Un peu comme American Gangster, Gladiator II raconte l’invraisemblable ascension d’un type de second plan qui devient le nouveau boss.
Mais Macrinus est plus ambivalent que Frank Lucas. Quand Lucius (Paul Mescal) le découvre, c’est un ambitieux qui fournit les légions européennes en vin, en huile et en nourriture, fabrique des lances, des canons et des catapultes. Un ancien pauvre à qui son intelligence a permis d’intégrer les coulisses du pouvoir. Il peut être cruel, mais il est surtout charmant, faible avec les puissants et fort avec les faibles. Charismatique tout en projetant la force morale d’un self-made-man.
Le Macrinus du début, c’est le Denzel que le public aime : un homme ordinaire, équilibrant son sourire de 1000 watts avec la gravité fatiguée du type qui a tout vu. Et puis, juste au moment où l’on pense connaître ce type, Gladiator II tourne sur lui-même et Macrinus se transforme en salopard intrigant. Ce n’est plus le vecteur de la réussite du héros, un homme à la dignité tranquille et malléable. C’est un vaniteux, un homme en colère, toujours sur la brèche. Prêt à tout.
Washington devient alors littéralement génial, livrant le portrait d’un courtisan nerveux qui résonne avec le racisme yankee et tend un miroir à peine déformant de l’époque. Et si les sous-intrigues s’amoncellent autour des César, si la puissance symbolique de l’histoire reste passionnante, c’est bien la force de Denzel (son imprévisibilité, pour reprendre l’idée de Scott, sa sauvagerie) qui devient le vrai principe de mise en scène. Il arpente le décor de cette Rome comme s’il était dans une pièce d’August Wilson.
Assis dans les loges de l’arène, il imprègne tout. Les naumachies ou les combats de gladiateurs sont filmés en anamorphique, mais c’est Washington qui commande le cadre. Comment il franchit la porte du palais, comment il jette un regard habité de démons lorsqu’il scanne l’arène ou qu’il observe les intrigants, comment il déclame chaque phrase comme si c’était du Shakespeare (sans faux accent british en plus)... Les épaules larges, Denzel utilise sa morphologie avec cet appétit du geste et ce sens de l’incarnation qu’on aimait tant chez les acteurs anglais 70s. Un empereur, définitivement.
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