Le très attendu nouveau film de Tarantino, une déclaration d’amour au cinéma, offre des rôles anthologiques à Brad Pitt et Leonardo DiCaprio.
Avertissement : cette critique de Once Upon a time… in Hollywood ne révèle aucune information majeure sur l’intrigue du film. Mais elle en évoque néanmoins quelques éléments, qui ne nous semblent pas de nature à vous gâcher le plaisir. Ne lisez pas ce texte si vous ne voulez RIEN savoir du film.
Avant d’arriver à Cannes, l’équipe de Première s’était jurée de ne pas spoiler Once Upon a time… in Hollywood dans sa critique à chaud du film. Quentin Tarantino ayant depuis expressément demandé que les festivaliers ne révèlent pas les points-clés de l’intrigue, histoire de préserver le plaisir des futurs spectateurs, nous n’allons certainement pas nous amuser à trop en dire ici. Car beaucoup de mystères planaient en effet sur le neuvième opus tarantinien, qui rappelons-le, se déroule dans le Los Angeles de 1969, sur fond d’assassinat de Sharon Tate par la Manson Family. Par exemple : pourquoi la Sharon Tate du film (Margot Robbie) n’apparaissait-elle pas enceinte sur les premières photos promo – alors que la vraie Sharon Tate l’était au moment de sa mort ? Quelle place exactement le meurtre de Tate va-t-il tenir dans l’intrigue ? Tarantino osera-t-il se laisser aller à ses penchants les plus gore en reconstituant l’un des faits divers les plus atroces de l’histoire du show-business ? Ou optera-t-il plutôt pour l’option "révisionniste" façon Inglourious Basterds, dans lequel Hitler finissait tué dans un cinéma parisien par une bande de chasseurs de nazis ?
Les réponses à ces questions, ne comptez donc pas sur nous pour vous les donner. On attendra quelques mois pour se lancer dans des analyses fleuves de Once Upon a time… in Hollywood. Et on se contentera de dire ici que le film est bien, comme prévu, l’ode de QT au cinéma : un éloge des différentes strates qui composent l’industrie du rêve, depuis l’Olympe où trônent les stars triomphantes (Tate et son mari Roman Polanski) aux soutiers de l’industrie (Leonardo DiCaprio est Rick Dalton, acteur télé en voie de ringardisation) et aux cascadeurs galériens, encore un cran en-dessous (on peut d’ores et déjà estimer que la performance de Brad Pitt en Cliff Booth restera dans l’histoire comme l’une des plus cools et iconiques de l’acteur, et ce n’est pas peu dire).
Tarantino reconstitue les coulisses de l’industrie télé et ciné de l’époque et raconte un monde où les différentes sous-communautés de L.A. (les vedettes, les has-been, la jet-set, les hippies semi-clochards…) vaquent toute la journée à des occupations très diverses (l’art, l’hédonisme, le satanisme…) mais se branchent tous le soir sur NBC ou ABC pour regarder Mannix, The F.B.I., Des Agents très spéciaux ou Bounty Law (le feuilleton fictif dans lequel joue Rick Dalton). Soit des petits shoots d’ultra-violence en prime-time, dans un monde qui prône la paix et l’amour. De la même façon que Les Huit Salopards ressemblait à un épisode du Virginien shooté comme Ben-Hur (une intrigue de vieux feuilleton télé claustro y était emballée dans une forme monumentale), Once Upon a time… in Hollywood reconstitue des scènes de séries western sixties avec l’ampleur et le budget d’un projet de catégorie A, comme si Tarantino voulait les anoblir rétrospectivement. C’est le discours théorique du film : le « grand » cinéma, l’officiel, ne serait rien sans le bis, les séries Z et les feuilletons usinés par les sans-grade, tous ces anonymes qui se cassent le cul pour pas un rond, se font humilier quotidiennement, mènent des vies dissolues, ont du mal à retenir leur texte car ils ont trop picolé la veille, ou obtiennent de moins en moins de boulot car leur beauté se fane à vue d’œil. Tarantino raconte ça en rameutant logiquement à l’image plein de character actors indispensables, des seconds rôles adorés, de Luke Perry à Timothy Olyphant en passant par Scoot McNairy – les Rick Dalton d’aujourd’hui.
Once Upon a time… in Hollywood prend la forme d’un « hangout movie » (un film où on traine avec les personnages qui passent eux-mêmes leur temps à traîner ensemble, pour reprendre les mots de Tarantino à propos de Rio Bravo) et est assez proche en cela de Jackie Brown, dont il épouse parfois le rythme cotonneux, engourdi, teinté de mélancolie. L’idée du film est bien de passer le plus de temps possible avec ces gens (le trio Tate / Dalton / Booth, même si Tate reste une figure plus lointaine et énigmatique), de regarder dans le détail ce qu’ils mangent, boivent, fument, les fringues qu’ils portent, les bagnoles qu’ils conduisent, les disques qu’ils écoutent, et ce que cet ensemble de signes dit du moment où ils en sont dans leur existence. Combien de leurs rêves ont-ils été déçus ? Combien leur en restent-ils encore à accomplir ? Tarantino musarde, et s’affranchit du côté littéraire et légèrement étouffe-chrétien de la trilogie Inglourious Basterds / Django Unchained / Les Huit Salopards pour proposer quelque chose de plus fluide, aérien, relax – l’air de la Californie y est sans doute pour quelque chose. Le début du film est d’ailleurs bourré de petits clins d’œil visuels à Pulp Fiction et Jackie Brown ; une manière pour QT de dire qu'il est de retour à la maison (c’est son premier film tourné à L.A. depuis plus de vingt ans). Mais même en reconnaissant les auto-références du maître des lieux, on est obligé d’admettre que Once Upon a time… in Hollywood est un drôle d’animal : un film à la patine fun, mais bourré d’idées noires.
Car au-dessus de cette superbe collection de vignettes digressives (qui révéleront sans doute encore plus leur charme à la deuxième vision) plane néanmoins un suspense, un compte à rebours morbide : on sait que la Manson Family affûte ses couteaux et son délire sataniste quelque part dans la Vallée, et on se demande comment tout ça va finir… Mais chut. Motus. Pas de spoilers à Hollywood. En attendant la fin du rêve et de l’innocence, Brad Pitt roule sur Sunset Boulevard les cheveux au vent, la musique à fond… Et personne ne filme ça mieux que Tarantino.
Once upon a time... in Hollywood, de Quentin Tarantino, avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie... En compétition à Cannes et en salles le 14 août.
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