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Comme un symbole. 10 ans après son lancement en grande pompe, avec le Iron Man de Jon Favreau, le Marvel Cinematic Universe (MCU pour les intimes) dédie pour la première fois un film à son super-héros noir, Black Panther. Un long-métrage attendu au tournant, encore plus que les récents Gardiens de la Galaxie 2 et Thor : Ragnarok, autant pour sa fonction pratique (une nouvelle pièce au puzzle du MCU avant Infinity War) que pour son aspect politique.
Black Panther vs Black Panther
Black Panther. Le terme est tellement chargé, tellement connoté, qu’on en oublierait presque que le personnage créé par Stan Lee et Jack Kirby en 1966 est antérieur (de quelques mois) au Black Panther Party, ce mouvement révolutionnaire qui fut qualifié par le directeur du FBI J. Edgar Hoover de "plus grande menace pour la sécurité nationale".
Une cohabitation qui gêna Marvel au point que le héros fut brièvement renommé Black Leopard pour éviter toute confusion. Interpellé par La Chose dans un numéro des 4 Fantastisques de 1972, La Panthère Noire expliquait elle-même son choix en prenant soin de ne froisser personne : "je ne condamne ni ne soutiens ceux qui ont pris ce nom, mais T’Challa suit ses propres lois".
En 2018, fini les pudeurs de gazelle pour Marvel Studios. La lucrative branche de Disney fonce tête baissée dans la fierté noire et surfe carrément sur l’héritage controversé du patronyme. Les premiers visuels de la promo, démarrée un an plus tôt, affichaient déjà la couleur avec ces posters reprenant plus ou moins clairement les photos mythiques des Black Panther, comme le cliché de Huey P. Newton assis sur une chaise africaine, un fusil dans une main, une lance dans l’autre.
Tout cette imagerie est donc au cœur du film de Ryan Coogler. Sur la forme comme sur le fond, le réalisateur de Fruitvale Station et Creed est allé au bout de ses idées, du moins aussi loin qu’il pouvait le faire dans un film Marvel. Il nous dévoile un Wakanda sublime, et forcément un peu kitsch, ce pays fictif qui symbolise ce que l’Afrique aurait pu être sans le pillage de sa culture et de ses biens. Son secret pour ne pas avoir fini comme l’Egypte antique ? Cacher sa richesse (un gigantesque gisement de vibranium, le métal le plus solide du monde) et son avance technologique au reste du monde.Un grand méchant et des femmes fortes
Suite au décès du roi T’Chaka, le Wakanda va toutefois devoir sortir de sa réserve et de sa petite routine. Son fils T’Challa (Chadwick Boseman) lui succède logiquement (et récupère au passage les pouvoirs de Black Panther), mais il va se retrouver confronté à un grand dilemme, incarné par l’acculturé Killmonger (magistral Michael B. Jordan), qui va bousculer l’ordre établi en faisant basculer le royaume dans sa "folie" vengeresse. Un Némésis sexy, terrifiant et ambigu, comme le MCU nous en a malheureusement trop peu servi. Et sans doute la grande réussite de ce Black Panther qui évite habilement de se vautrer dans le manichéisme. Avec en point d’orgue cet aveu de W’Kabi (Daniel Kaluuya), le responsable des frontières, qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée de migrants africains au Wakanda
Autour de ce duo de choc, Coogler a mis en place un casting impeccable, jusque dans les petits rôles (mention à Sterling K. Brown de This is Us). Et il fait la part belle aux femmes, en plaçant pas moins de quatre personnages féminins forts dans son ensemble : Lupita Nyong’o l’espionne et ex petite amie de T’Challa, Danai Gurira la boss des amazonesques forces spéciales du pays (les Dora Mijae), Angela Basset incroyablement classe en Reine-mère et la jeune Letitia Wright (vue dans l’épisode "Black Museum" de Black Mirror) bluffante dans son rôle de petite sœur et ingénieure en chef du Wakanda. Et il est savoureux de voir Martin Freeman et Andy Serkis jouer les utilités au milieu de cette distribution quasi 100% noire.
Colonialisme, panafricanisme, déracinement de la diaspora noire, "black on black crime", appropriation culturelle : Coogler balaie toutes les questions, même celles qui dérangent (les noirs comme les blancs d’ailleurs). Un parti pris qui en rebutera certains, mais faire autrement aurait-il été recevable ? Black Panther est intrinsèquement une allégorie de la question noire, comme les X-Men portaient en eux un sous-texte défendant la communauté gay, mais il n’oublie pas d’aborder aussi des thèmes plus universels, comme le clanisme, la filiation et le poids de l’héritage, pour ne pas perdre complètement les autres spectateurs.
S’il est moins époustouflant visuellement que d’autres longs métrages Marvel (malgré la jouissante scène du casino), Black Panther se rattrape sur le sens, à l’image de la séquence finale qui repose plus sur la psychologie des personnages que sur le spectaculaire de leur affrontement. Assumant aussi d’être nettement moins fun (en dehors de quelques blagues syndicales) que ses camarades, il se pose résolument comme un film de super-héros sombre et sérieux, mais aussi porteur d’espoir, assurant parfaitement la transition avec Avengers : Infinity War, qui est censé faire basculer le MCU à la fois dans la noirceur et une nouvelle ère.