Le film de 1953, qui inspira Clint Eastwood, George Lucas ou encore David Carradine, revient ce soir sur Arte.
Shane. L'homme des vallées perdues. Pour tout cinéphile qui se respecte, ce nom évoque l'un des plus grands moments de l'histoire du cinéma. Signé George Stevens (Géant, le dernier James Dean), Shane est l'un des 10 meilleurs westerns jamais réalisés, un film matriciel qui capture la quintessence du genre, et qui inspirera de nombreux cinéastes, de George Lucas à Martin Scorsese en passant par Clint Eastwood, qui n'aura cesse d'officieusement le remaker et d'en tourner des variations (avec lui-même, bien évidemment, à chaque fois dans le rôle principal).
La formule de Shane, reprise depuis par des milliers de films, parait aujourd'hui classique : un étranger arrive de nulle part, dans une ville en proie à la corruption, à l'injustice et la violence, s'y installe provisoirement, et fini malgré ses réticences à remettre de l'ordre dans la balance du chaos, après avoir flingué à peu près tous les méchants. Oh, il faut quand même qu'il ait été blessé pendant. Tout ça avant de repartir d'où il vient (c'est à dire vers le néant).
Shane/L'homme des vallées perdues incarne la quintessence du western et du parcours mythologique si cher à George Lucas, qui est la base du succès des Star Wars. Le film eu un tel succès qu'il engendra une série TV avec un David Carradine (pré Kung-Fu et Kill Bill), toujours inédite dans nos contrées. Mais aussi, et surtout, Shane est le premier western en format Widescreen (écran large) de l'histoire du cinéma.
En 2016, la sortie de son édition Blu-ray chez le label anglais Eureka!, dans leur série Masters of Cinéma, a marqué la première fois ou Shane fut présenté dans son format cinéma d'origine widescreen large 1.66:1, et la première fois, donc où les spectateurs peuvent le voir comme il fut montré au public en 1953.
Comment expliquer que ce n'était jamais arrivé avant ? Shane avait été annoncé en Blu-ray en 2013 par Paramount en widescreen, mais cette annonce à provoqué un lever de boucliers sur internet, menés par le blogueur fou (il n'y a pas d'autres mots pour le qualifier) Jeffrey Wells.
La controverse a été telle, et les posts sur les forums si rageurs, que les réactions ont poussé Paramount a faire machine arrière et, à sortir le film en Blu-ray aux USA, puis en France, uniquement au format carré 1.37:1. Un format révélant plus d'image en haut et en bas du cadre, mais qui n'est donc pas donc le format du film dans lequel a été montré en salles.
George Stevens Jr., le fils du cinéaste, avait supervisé deux restaurations 4K pour le film, une au format cinéma, donc et une au format carré. Il s'explique : "Shane a été tourné en 1951, au format carré 1.37:1. Mais arrivé au moment de sa sortie en 1953, l'industrie toute entière basculait vers le widescreen, pour faire concurrence à la télévision. Shane est donc devenu par la force des choses, le premier film en widescreen, et est sorti en salles sous ce format pour la première fois le 23 avril 1953, au Radio City Music Hall. Ils ont construit un nouvel écran widescreen (large), et ont masqué le haut et le bas de l'image, pour montrer le film dans ce format. Mon père avait pris cette décision, parce que les gens voulaient enfin voir les films sur grand écran".
Les films pré-1953 tournés en carré, étaient en effet montrés sur de minuscules écrans, avant que les salles basculent au format large. La différence était aussi grande pour le public, qu'entre un timbre poste et un magazine. Le résultat fut tellement impressionnant, que George Stevens tournera son film suivant, Géant, avec James Dean, Elisabeth Taylor et Rock Hudson, au même format widescreen 1.66:1.
Film hybride, l'un des derniers tourné pour le format carré donc, (passé l'été 1953, tous les studios américains généralisent le widescreen, et la folie écran large va très vite gagner le monde entier), Shane va être exploité à la télévision et vidéo, et même en DVD pendant les 60 années qui suivent... en format carré. On peut comprendre que la télévision cathodique d'antan qui formatait toutes les fictions par défaut, demandait à remplir tout son écran, et que les diffusions en pâtissaient. Mais on peut moins comprendre, alors que le DVD va instaurer, à la suite du laserdisc, la protection systématique du format cinéma original, pourquoi les éditeurs, puis les spectateurs blogueur et forumeurs, vont décider que Shane ne doit exister qu'à un format modifié, qui n'est pas celui dans lequel il a été montré en salles à l'origine par son réalisateur.
On peut lire ça et là sur les forums consacrés à Shane qu'il faut "protéger l'intention originelle du réalisateur". Par exactement les mêmes qui hurlent, quand George Lucas fait des modifications sur les Star Wars, alors que le cinéaste se défend en disant que celles ci représentent ses "intentions originelles", qu'il n'en a "pas le droit !" !
George Lucas : "Il ne faut pas demander au public ce qu'il veut"En vérité, si George Stevens a bien tourné son film en carré, il a complètement assumé de le montrer en écran large avant sa sortie. Il en a même modifié son montage en conséquence, remplaçant ainsi des plans qu'il jugeait trop serrés par des plans plus larges, afin d'optimiser le recadrage. Editer Shane en Blu-ray dans un format carré uniquement, ne représente donc qu'une approximation de ce qu'aurait été cette éventuelle version initialement ébauchée. Cette version est tout au plus un bonus, une curiosité, une madeleine de proust, destinée à satisfaire un public vocal, mais (très) limité, qui a grandi en voyant le film de travers, et refuse de le voir autrement. En aucun cas elle ne peut prétendre se substituer à celle, historique, sortie en salles à l'origine.
La version Blu-ray Eureka!, avec sous-titres anglais, en tirage limité à 2000 exemplaires bientôt épuisés, remet les pendules à l'heure, et représente la véritable manière dont Paramount aurait du sortir le film. Ou presque. La version carrée "bonus" du film est incluse ici comme principale sur un premier Blu-ray, (la peur de la vindicte internet, sans doute ?), tandis que le second Blu-ray contient (enfin) deux versions du film dans son format cinéma d'origine, en widescreen 1.66:1. La première est non ajustée, représentant la version montrée en salles en 1953. La seconde est la même, mais optimisée par George Stevens Jr., qui y a ajusté quelques plans où le recadrage central pouvait être jugé visuellement insatisfaisant. La seule qui nous intéresse en somme, et l'unique manière de voir et revoir Shane L'homme des vallées perdues désormais. Au format dans lequel le réalisateur de Géant l'a voulu à sa sortie en 1953.
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