Nouvel ordre de Michel Franco
Ascot Elite Entertainment

Rencontre avec le réalisateur de ce portrait radical de la société mexicaine primé à Venise en 2020 et inédit en France jusqu’à sa diffusion ce soir sur Canal + Cinéma

Nouvel Ordre propose une plongée brutale au cœur du chaos né de la révolte des laissés- pour- compte dans la ville de Mexico aux disparités sociales insoutenables puis de sa répression ultra- violente par des militaires imposant ce fameux ordre nouveau permettant aux grosses fortunes de continuer à encore plus s’enrichir. Comment en est née l’idée ?

Michel Franco : Ce film est né de mes inquiétudes grandissantes sur la situation de mon pays, le Mexique avec des disparités sociales qui ne cessent de s’agrandir au fil des années avec près de 60 millions d’habitants (plus de 40% de la population) vivant sous le seuil de la pauvreté. J’avais envie de m’en emparer comme citoyen et comme cinéaste. Cela fait des années que j’avais ce film en tête mais j’ai mis longtemps à trouver comment raconter l’effondrement d’un pays. Je n’aurais jamais pu y parvenir comme cinéaste débutant, j’en suis aujourd’hui certain. Il me fallait du temps, de l’expérience. Et puis, au fil de ces mois de réflexion, l’Europe s’est mise à connaître les mêmes phénomènes, les Etats- Unis aussi, la pandémie n’ayant fait qu’aggraver les choses depuis. Donc ce film est au fond ma manière à moi comme cinéaste de tirer le signal d’alarme, par- delà ce qui se passe dans mon pays

Cela nécessite de mettre en scène la violence de ce chaos. Vous avez votre futur public en tête pour y réfléchir ?

J’y pense en permanence. Je ne fais pas des films pour moi mais pour qu’ils soient vus. C’est le public qui leur donne leur sens, au fond. Je fais donc très attention au rythme, je prends garde à tenter de ne jamais être ennuyeux. Et dans le cas de Nouvel Ordre, j’ai été particulièrement attentif à la question de la violence. Ne pas en montrer plus que nécessaire. Evidemment, ce film est là pour créer un certain inconfort mais jusqu’à une certaine limite. Il ne doit en tout cas jamais choquer gratuitement par exemple. Donc souvent je montre le début des exactions violentes puis le plan s’arrête ou ma caméra se détourne et je passe alors en quelque sorte le relais à l’imagination des spectateurs. J’ai passé énormément temps sur cette question car il y a dans ce film énormément de personnages qui, chacun à leur manière - certains la commettant, d’autres la subissant -, vont être confrontés à la violence. Il fallait qu’on sente le chaos mais ne montrer que ce qui est utile à la compréhension. Ma règle d’or est toujours d’en montrer le moins possible. Mais pour autant, il ne faut pas jouer la politique de l’autruche et montrer le nécessaire pour exposer et comprendre la situation. Je tourne moins de choses violentes que je n’écris. Et je monte moins de choses violentes que je n’en tourne. Sous peine sinon de perdre le spectateur en route, après avoir eu un petit pouvoir sur lui

NOUVEL ORDRE: MICHEL FRANCO FRAPPE FORT [CRITIQUE]

Ces images de chaos alimentent désormais les réseaux sociaux à travers ceux qui, à leur manière, les documentent en filmant avec leurs portables. En quoi cela a influencé votre mise en scène ?

C’est un challenge supplémentaire. Je crois qu’il est essentiel pour un cinéaste aujourd’hui de ne pas chercher à reproduire ces images nées dans l’immédiateté. Le cinéma doit créer, à l’inverse, de la distance. Offrir un point de vue et pas surfer sur l’actualité, aussi intense soit- elle.

Comment faire du cinéma justement et éviter le piège du pur film à sujet ?

Je ne fais jamais au fond un film sur tel ou tel sujet. Je pars d’un sujet pour faire du cinéma. En l’occurrence donc ici les disparités sociales à l’intérieur d’un même pays. Je dirai qu’en ayant grandi dans cette ville de Mexico, j’en connais physiquement le chaos donc il y a quelque chose de naturel à le rendre à l’écran. C’est plus physique que cérébral. Je me souviens que même enfant la pauvreté autour de nous me sautait aux yeux, je demandais souvent à mes parents de m’expliquer pourquoi.

Comment avez- vous créé cette atmosphère de chaos avec votre complice habituel à la lumière, Yves Cape ?

C’est de loin le film le plus difficile que nous avons eu à faire. Il démarre par le portrait intime du quotidien de deux familles- l’une riche à un mariage, l’autre pauvre à l’hôpital – qu’on accompagne par une musique de Chostakovitch pour faire comprendre que quelque chose se prépare. C’était important en peu de temps de bien poser les personnages et de construire un lien avec les spectateurs. Puis le chaos va arriver. La caméra va dès lors se trouver en permanence en mouvement mais de manière extrêmement précise. C’était difficile de voir à partir du scénario ce que ça allait donner à ce moment- là. On voulait faire vivre une expérience aux spectateurs

Vous aviez des références en tête ?

Pas vraiment car je n’ai pas en tête de films qui se rapprochent vraiment de Nouvel ordre. J’avais peut- être dans un coin de ma tête simplement La Bataille d’Alger de Gilles Pontecorvo. Ce sont surtout mes cinq films précédents qui m’ont conduit à celui- là


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