Talons aiguilles
El Deseo

L’actrice espagnole connue pour ses rôles emblématiques dans Talons Aiguilles ou Tout sur ma mère est morte à l’âge de 78 ans. Hommage.

De Marisa Paredes, qui vient de s’éteindre à l’âge de 78 ans, s’imprime d’emblée les visages tragiques des héroïnes des films de Pedro Almodovar dont elle reste liée à jamais. Réduite aussi, car, la comédienne aura percuté le regard d’autres cinéastes et non des moindres : Manoel de Oliveira, Amos Gitaï, Raoul Ruiz, Guillermo del Toro… Qu’est qui la ramenait alors inlassablement vers l’un des héros de la movida ? L’ampleur des rôles proposés.

Chez Almodovar, Paredes était une figure souveraine propre à contenir toutes les émotions prêtes à jaillir sur l’écran. Chanteuse castratrice à l’(omni)présence magnétique dans Talons Aiguilles (1991); Romancière en panne d’inspiration dans La fleur de mon secret (1995) ou encore actrice-totémique dans Tout sur ma mère (1999, photo ci-dessous) qui influe malgré elle tragiquement sur le sort des personnages… Almodovar avait l’habitude de dire, sous la forme d’une boutade, que si jamais Marisa Paredes n’avait pas pu jouer toutes ces femmes, il s’en serait chargé lui-même.

Tout sur ma mère - Marisa Paredes
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Chez Almodovar, Paredes était la Pythie, oracle que seules les âmes disposées aux emportements lyriques et romantiques pouvaient entendre et comprendre. Les deux êtres ont d’abord dû s’apprivoiser. Sa première incursion dans le monde d’Almodovar date de 1983 avec Dans les ténèbres, où elle incarnait la sœur d’un couvent. Voilà comment elle décrivait ses débuts avec son futur mentor dans les colonnes du Monde en 2002 :  

"… Je posais plein de questions sur mes personnages et Pedro ne voulait pas donner d'explications, il était plus effervescent, pris dans la romance de son talent. Ensuite, il m'a proposé de petites choses dans d'autres films, mais j'étais occupée ailleurs. Je jouais Beckett au théâtre quand il m'a fait le cadeau de Becky del Paramo…" 

Becky, c’est l’héroïne de Talons Aiguilles, le film qui a tout changé.


 

Marisa Paredes, élevée sous une Espagne franquiste qui voyait le métier d’actrice comme l’illustration d’une vie forcément dépravée, a reçu en héritage le sens du combat et de la révolte. Féministe revendiquée, elle trouvera, grâce à Almodovar, une façon de l’exprimer pleinement.

"Le féminisme, je l’ai toujours eu en moi. En regardant la force de ma mère, la place, malheureusement malmenée, des femmes, dans l’histoire. Pedro Almodóvar a toujours eu cette sensibilité. Il était imprégné de ça, moi aussi : c’est ce qui a fait, entre autres, la force de notre rencontre", avouait-elle à la revue Trois Couleurs en 2023.

Parmi ses nombreux rôles, retenons celui de L’échine du Diable de Guillermo del Toro (photo ci-dessous), film fantastique où elle retrouvait par la fiction l’odeur de l’Espagne du Caudillo. Elle y était Carmen, directrice d’un établissement catholique pour orphelins hantée dans sa chair par les blessures d’une Histoire en train de s’écrire dans le sang.  Qu’est-ce qu’un fantôme ? interroge ce film produit par Pedro Almodovar. Le personnage incarné par Marisa Paredes ressent au plus profond d’elle-même les vibrations d’un au-delà inatteignable. Seule une grande tragédienne pouvait exprimer ça sans avoir besoin de prononcer un mot.

L'échine du diable
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