La réalisatrice allemande de Toni Erdmann, la sensation du Festival de Cannes 2016, nous évoque sa méthode.
Palme du cœur de la plupart des observateurs lors du Festival de Cannes 2016, Toni Erdmann, observation tendre et décalée des rapports conflictuels entre un père fantasque et sa workaholic de fille, est l’œuvre maîtresse de Maren Ade, cinéaste allemande connue d’un petit cercle d’initiés avant son exposition médiatique sur la Croisette.
Quand nous l’avons rencontrée sur place, la jeune réalisatrice de 39 ans virevoltait d’entretien en entretien (son planning d’interviews était saturé), affable et souriante. On sentait derrière le vernis de la respectabilité une femme déterminée, sûre d’elle, dont la conception du cinéma passe par un professionnalisme sans failles à tous les stades de la production. Flashback, à l'occasion de la rediffusion du film sur Arte, ce soir à 21h.
Justesse de l’écriture
« Je voulais parler de la famille depuis longtemps mais pas de façon conventionnelle car on se heurte toujours aux mêmes thématiques : le conformisme, la ritualisation, les rôles qu’on tient au sein d’un clan… J’en suis donc venue à imaginer ce père qui rend visite à sa fille dans son environnement professionnel dans le but de se rapprocher d’elle et qui, pour y arriver, s’invente ce personnage de double un peu dingue. Mon obsession était d’arriver à équilibrer le ton général, très réaliste, et une forme d’humour absurde qui vient le bousculer. Pour moi, tout devait venir des personnages. Si vous ne croyiez pas en eux, c’était difficile de faire accepter leurs actions. Quand l’héroïne enlève sa robe et ouvre sa porte toute nue à un collègue, le spectateur peut sortir du film s’il sent que c’est une coquetterie d’auteur et que ça ne s’inscrit pas dans le parcours émotionnel du personnage. Toutes les scènes qui peuvent paraître drôles et décalées, comme celle-ci, je ne les ai pas appréhendées ainsi en écrivant. J’ai surtout travaillé leur énergie et leur réalisme, leur côté désespéré. C’était plutôt sérieux. »
Importance du casting
« J’ai longtemps cherché mes deux acteurs principaux. Dans mon travail, en général, je vise la parfaite constellation ! (rires). L’étape du casting est primordiale. Je dois savoir si les acteurs vont être réceptifs à mes exigences. J’ai par exemple évoqué tout de suite la séquence de la nudité pour éviter d’avoir à gérer cette question en plateau. Le choix de Sandra (Hüller) et de Peter (Simonischek), deux acteur de théâtre renommés en Allemagne et en Autriche, s’est au final opéré naturellement, en constatant leur alchimie évidente. »
"Toni Erdmann a suscité l’unanimité"Tournage et montage sans filets
« Je n’arrive pas sur le plateau en me disant qu’une scène va être comme ça, et pas autrement. Je n’ai pas les bonnes réponses avant de tourner, je tâtonne. Cela découle d’un long process avec les acteurs qui commence en amont, lors des répétitions, assez longues. Mon approche nécessite beaucoup de prises (Sandra Hüller nous en avait évoqué 30 à 40 par scène, ndlr !) afin d’atteindre une liberté de jeu et une certaine profondeur émotionnelle d’un côté, et la précision, de l’autre. En résumé, je travaille sur différents sens, différentes directions, puis je mets tout à plat au montage. Pour Toni Erdmann, j’avais une centaine d’heures de rushes ! J’ai au total passé un an et demi sur le montage. »
Absence de posture
« Je n’aime pas l’idée de film politique. Je ne me suis pas mise à écrire en me disant, « je vais critiquer le capitalisme ! ». Toni Erdmann peut donner cette impression mais c’est parce que les deux personnages ont des conceptions du monde opposé. Le père veut insuffler à sa fille de l’empathie, la rendre plus sûre d’elle, la faire aspirer à plus de liberté… Elle profite de ses conseils mais pas de la façon dont il le voudrait, pour progresser dans son travail. Ca relève plus d’une logique guerrière que politique. Elle apprend de son « ennemi ». Si le personnage d’Inès devient central, ce n’est pas non plus pour une question de féminisme. Je ne cherche pas à démontrer quelque chose mais à retranscrire une réalité observable : c’est difficile pour une femme de grimper dans une hiérarchie, quelle qu’elle soit. »
Bande-annonce de Toni Erdmann, ce soir sur Arte :
Jack Nicholson quitte le remake américain de Toni Erdmann
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