- Fluctuat
Tout commence par une très belle image. Dans un très long panoramique, elle détaille le vieux port, s'approchant petit à petit des détails de la ville sur une musique tranquille, un mélange de Bach et de Satie.
Les façades blanches qui se dressent paisiblement dans l'image sont hiératiques, pesantes dans le silence extérieur malgré le soleil méditerranéen. Mais à l'intérieur, on sait que "ça respire" : en voix-off des voix d'enfants accompagnent peu à peu le travelling. Les immeubles sont des fourmilières et la vie n'est pas toujours à l'image de la carte postale phocéenne.Bien sûr, il y a le port et la poiscaille qu'on décharge à mains nues comme d'autres triaient le charbon, ça c'est l'histoire de Michèle. Autour du port, il y a les dockers qui sont en grève parce qu'ils sont menacés de licenciement. Paul, fils d'ouvrier communiste, n'est plus docker, il a acheté un taxi avec sa prime.
Le monde ouvrier est impitoyable, les métiers sont difficiles et la vie quotidienne n'est pas rose. La fille de Michèle qui vient d'avoir un bébé, se prostitue pour acheter sa drogue. Les parents de Paul, enfermés dans leurs idéaux, ont phagocyté la vie de leur fils.Entre ces deux pôles, la vie des autres marseillais est un peu pareille. Une professeur de musique étouffe sous les propos conformistes et attendus de son mari trop bourgeois, tandis qu'un de ses seuls amis tente de pacifier le monde à son échelle et en appelle à une plus grande solidarité. Gérard, un éminent mafioso, seul secours de Michèle, n'a le regard allumé que face à Ameline, corps agissant pour la santé du monde. Seul Sarkis, un pianiste âgé de dix ans, reçoit le monde tout en lui imprimant sa marque.
Si cette structure scénaristique est un tant soit peu manichéiste, on reconnaîtra au réalisateur d'avoir su rendre avec beaucoup de justesse des images aux parfums documentaires. Ariane Ascaride, triturant le poisson avec l'épuisement d'une double vie, est troublante de finesse. C'est bien là d'ailleurs que paradoxalement se trouvent les pondérations de misérabilisme. Scénariste, l'auteur de A l'attaque ! cherche un peu trop souvent à faire pleurer Margot par des dialogues souvent dramatiques (dans les deux sens du terme !).Robert Guédigian réalise bien sûr un film très politique. Son engagement, ses dénonciations, visibles à travers toute son oeuvre, semblent ici le seul prétexte au film. A travers de multiples portraits, tous plus sombre les uns que les autres, il frise la caricature banlieusarde et cherche à se disculper en justifiant ses propos par leurs aspects autobiographique : « Je ne peux qu'analyser ces choses avec ma biographie en espérant que cela renverra les gens à leur propre biographie, pour qu'ils parlent, qu'ils se parlent, qu'ils en parlent. » écrivait-il dans le dossier de presse. Ainsi, ces bonnes paroles - qui ressemblent un peu à du Jacques Salomé - sont à l'image du sentiment qu'on aura à la fin du film : celui d'avoir un peu perdu son temps face à ce qui n'est finalement qu'un grand vide qui nous dépasse !La ville est tranquille
De Robert Guédiguian
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Pierre Banderet
France, 2000, 2h13
- Lire la chronique de Mon père est ingénieur (2004).
- Lire la chronique de A l'attaque ! (1999).
- Lire une interview de Robert Guédiguian réalisée à l'occasion de la sortie de Marie-Jo et ses deux amants (2002)..