Première
par Thomas Agnelli
Quarante-cinq ans après le scandale déclenché par l’adaptation de Jacques Rivette (Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot), Guillaume Nicloux s’approprie à son tour l’oeuvre anticléricale du philosophe en la traduisant comme un réquisitoire contre l’atteinte à la liberté. Connaissant le passé du réalisateur, fasciné par les codes du polar, les atmosphères glauques et les personnages hors normes (le génial Une affaire privée), on s'attendait à une rencontre explosive. Et là, surprise : contre toute attente, Nicloux signe un film assez sage sur un sujet – la lutte contre l’enfermement et l’aliénation – qui aurait réclamé la rage, le trouble et l'effroi du cinéma de Ken Russell (Les Diables). On peut louer le parti pris du traitement ascétique et le sérieux immuable du réalisateur, qui préfère la lucidité nue à l’émotion feinte, mais on peut également trouver qu’il manque de flamme et de rythme pour rendre convulsive cette descente aux enfers. Surtout, pendant plus d’une heure, on est surpris que La Religieuse ait aussi peu d'épiphanies malgré toutes les qualités d’exécution déployées. Du moins le pense-t-on avant le dernier tiers du film et l’apparition de la mère supérieure, interprétée par Isabelle Huppert, dont les comportements envers la jeune Suzanne (Pauline Etienne), à la fois horrifiants et gaguesques, font basculer l’ensemble vers la farce mélodramatique façon Dans les ténèbres, de Pedro Almodóvar. On goûtera ou non ce virage selon sa sensibilité, mais au moins, on sera bousculé.