Fluctuat
La Môme, biopic d'Olivier Dahan sur la vie d'Edith Piaf, révèle une fois encore et sans surprise l'impasse et la tentation rétro du cinéma français. Un long périple dans la douleur préférant l'anecdote et la tragédie facile à la mise en scène d'une voix et d'un corps. Une grande fiction populaire autoproclamée, avec ses guest stars surgissant au coin d'une rue, incapable ni d'être à la hauteur de ses modèles hollywoodiens, ni de filmer les liens entre la vie et l'art.
- Vos impressions : Forum La mômeLorsqu'une société tend avec autant de complaisance à se réfugier dans son passé pour en exhumer ses valeurs ou ses idoles, on peut craindre pour sa situation. Depuis longtemps, le cinéma français subit cette tentation du repli. Déboussolée socialement, politiquement et donc artistiquement, la France ne sait plus, sauf rares exceptions (quelques auteurs et films confidentiels), faire du cinéma. Elle a perdu toute idée du sujet, toute nécessité de mise en scène. Elle ne sait plus faire de film au présent comme ceux de la Nouvelle Vague, sinon sans représenter sa dégénérescence malgré elle ; elle ne sait plus regarder son passé sans être gâteuse. Dans cette longue catastrophe, la vague rétro qui nous intéresse n'est qu'un épiphénomène de ce qui ailleurs prend d'autres formes. Épiphénomène qui, avec le biopic d'Olivier Dahan, La Môme, sur la vie d'Edith Piaf, dévoile bien la nature du problème, sans toutefois en être le pire exemple.S'attaquer aux figures populaires devenues des mythes grâce à l'Histoire ou à leurs actes, aux personnalités, aux talents, est une constante du cinéma qui a toujours eu besoin de filmer l'invisible. L'obscène est dans sa nature même. Les idoles sont les meilleurs prétextes à la fiction, et quoi de plus romanesque que la vie d'Edith Piaf, vouée corps et âme au chant, à la musique. Mais c'est connu, une vie réelle peut-être naturellement romanesque sans pour autant que le cinéma soit capable de la traduire. L'année dernière, [people rec="0"]James Mangold[/people] avait pourtant donné le ton haut avec le biopic de [people rec="0"]Johnny Cash[/people], Walk The Line. Nous étions en Amérique, toute sa puissance, son savoir faire, sa vision, ses acteurs étaient mis au profit d'une idée : filmer la grandeur fictionnelle d'une vie à partir de la musique. Walk The Line n'était qu'une comédie musicale déguisée où le chant était imbriqué dans la narration.La Môme n'est pas une comédie musicale. L'affiche n'en a peut-être pas l'ambition ni les moyens, encore mois le talent possible. Olivier Dahan se situe du côté de la tragédie. Chez lui, filmer la vie de Piaf consiste à mêler divers temporalités (de l'enfance à la mort) dans le but de stigmatiser la souffrance. La Môme est un long tunnel dans la douleur, l'alcool, la drogue où la joie explose par fragments. On comprend vite l'intérêt du réalisateur, bien habitué des processus d'autodestruction. Son film est ainsi hanté par la mort, la maladie. Il choisit les moments de la vie de Piaf les plus difficiles, n'épargne rien, fonce droit dans l'émotion la plus pathos, entre larmes, rires et hystérie. La Môme se veut un film esquinté, abîmé et frêle comme son modèle. Il traque l'origine de son talent dans les recoins les plus sombres de Piaf, espérant que naturellement de la vie à l'art le lien existe automatiquement.Mais Olivier Dahan, malgré son grand espoir de fiction populaire hollywoodienne, n'a pas d'autres projets de mise en scène que l'illustration des marges. A l'inverse de Walk The Line où la chanson existe avec la mise en scène, La Môme oublie la possibilité d'un rapport, ne pense pas cinéma. Autrement dit, la fiction ne met pas en scène les chansons, leurs généalogies et leurs matérialisations, incarnations ou expressions. Sauf rares exceptions (telle la mort de Marcel Cerdan), il distingue l'art et la femme, alors que son projet repose sur cet axiome. Du biopic, La Môme montre l'anecdote, les amis, la famille, les amours, parfois le travail, mais sans que jamais l'image n'assume complètement un processus construit autour de la voix ou du corps. Cette question (du corps), Walk The Line l'avait justement résolue par [people rec="0"]Joaquin Phenix[/people] qui, plus que dans la performance, créait un autre Johnny Cash, une nouvelle image, sorte de clone et non de copie.Le clone n'est pas un même, il a l'apparence de l'original, mais ontologiquement il est différent, un autre être à partir du même modèle. Soit l'inverse de Marion Cotillard qui dans La Môme, à force d'un mimétisme épuisant, tente vainement de substituer son corps à celui de Piaf. Cotillard est du côté de la copie, une sorte de double qui par ses postures, sa gestuelle, ses mimiques, essaie d'être l'image de son modèle. Performance inutile débouchant sur un vide, un non-corps, une non-image, ou plus rien, ni de Piaf, ni de l'actrice n'existe pour nous. Pire, l'utilisation du playback, la voix de Piaf se superposant à l'image de Cotillard, crée une absence, un décalage, une impossibilité que ce corps manifeste à partir de ce qui est censé le faire exister. Si Walk The Line jouait avec le karaoké, La Môme ne fait que courir après son idole sans jamais pouvoir l'atteindre. Le temps du film et des chansons ne se rencontrant jamais.Avec La Môme, on peut ainsi saisir combien le cinéma français, en tentant de fédérer son public à partir de son patrimoine, cherche le consensus, une légitimité à l'américaine qu'il n'aura jamais. Ce refuge confortable dans son histoire, sur laquelle il ne construit aucune dialectique, n'étant qu'une preuve, parmi d'autres, de son incapacité à se réinventer. Incapable d'assumer la modernité, il ne cesse d'être parasité par des automatismes où l'imaginaire évolue en cercles fermés, sans aucune possibilité de dépassement, de confrontation entre réel et fiction.La Môme
Réalisé par Olivier Dahan
Avec Marion Cotillard, Gérard Depardieu
France, 2005 - 140mn[Illustrations : © TFM Distribution]
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