Fin 2019, nous étions dans les studios Pinewood, pour une visite top secrète sur le tournage du dernier James Bond de Daniel Craig.
Nous patientons dans un bureau anonyme des mythiques studios Pinewood, avec une dizaine de journalistes venus du monde entier. Sur les murs, des affiches des quatre précédents James Bond retracent la légende du 007 de Daniel Craig, qui s’apprête à prendre sa retraite après une grosse dizaine d’années au service (secret) de Sa Majesté. Par la fenêtre, on aperçoit la 007 Stage, l’un des plus grands plateaux de tournage au monde, construit en 1976 par le chef décorateur Ken Adam pour y loger l’intérieur du supertanker de L’espion qui m’aimait. À l’autre bout de la pièce, sous verre comme un joyau de la Couronne, le bikini le plus célèbre de tous les temps, porté par Ursula Andress dans Dr No. Près de soixante ans séparent ce premier James Bond et Mourir peut attendre, 25e film de la saga qui nous amène dans la grande banlieue de Londres en ce soir d’octobre 2019. Le tournage touche à sa fin et Daniel Craig a tellement de boulot qu’il ne peut se permettre de faire une pause pour rencontrer la presse, trop occupé à distribuer des raclées devant la caméra de Cary Joji Fukunaga. On observe sagement ce ballet mortel à travers un moniteur.
« Il nous reste deux jours et deux nuits, et ce sera fini. C’est un sentiment doux-amer : ça fait sept mois qu’on travaille dessus et on est épuisés, mais c’est surtout triste d’arriver au bout de l’aventure. C’est la fin d’une ère », confie gravement Michael G. Wilson, producteur historique de James Bond avec sa demi-sœur Barbara Broccoli. Avec son faux air de Sean Connery, il raconte la pression autour du film, qui doit à la fois conclure l’arc scénaristique initié avec Casino Royale, éviter de se transformer en greatest hits du Bond de Daniel Craig et définitivement renouer avec la longue tradition de la saga. « Évidemment, c’est complexe et on ne veut pas se tromper. Personne n’a envie de faire le dernier film James Bond. (Rires.) » Barbara Broccoli poursuit : « Il faut qu’on donne au public ce qu’on pense qu’il veut, tout en ajoutant des nouveautés et en surprenant les gens. Mourir peut attendre sera différent des précédents films car il a une grande portée émotionnelle. »
Le mystère Safin
Le scénario fera directement suite à 007 Spectre, où Ernst Stavro Blofeld partait en prison et James Bond tentait de vivre une vie normale avec Madeleine Swann (Léa Seydoux). « Ils sont en escapade romantique en Italie, et il se passe quelque chose de terrible. Bond est persuadé qu’elle l’a trahi et se referme à nouveau. Il prend sa retraite en Jamaïque et quatre ans plus tard, Felix Leiter (Jeffrey Wright) lui annonce que quelque chose autour du SPECTRE se déroule à Cuba. Madeleine revient et lui révèle qu’elle gardait jusqu’ici un grand secret lié à son passé », résume Barbara Broccoli. Ana de Armas, qui vient de tourner À couteaux tirés avec Daniel Craig et incarne – a priori – un agent cubain, a tout juste le temps de nous dire que le temps la presse (« No time to die, no time to think, no time for anything ! ») alors que Lashana Lynch, dont le personnage vient d’obtenir son permis de tuer, n’est pas tellement plus loquace (« Mon personnage est une femme forte, et je crois qu’elle va apporter quelque chose d’unique. »)
Après un tour du garage bondien - un vieux Land Rover (« sa voiture quand il est en Jamaïque »), une Jaguar 100 % électrique et une dizaine d’Aston Martin BD5 dont les phares cachent des mitraillettes -, on tente d’en savoir plus sur Safin, grand méchant défiguré du film, incarné par Rami Malek. La rumeur parle depuis un moment d’un écoterroriste, alors que la bande-annonce laisse entendre qu’il pourrait s’agir de tout autre chose (« Vos talents mourront avec vous. Les miens me survivront longtemps », assure-t-il à 007). Mark Tildesley, chef décorateur à la langue bien pendue, en dit vite trop : « Safin fait partie d’une famille qui détient une entreprise pharmaceutique », lâche-t-il, avant de se faire interrompre aussi sec par une attachée de presse un brin affolée par sa volubilité. « Ooooops ! Bon, ben... Considérez ça comme un teaser alors », se marre le grand gaillard à lunettes qui a construit une réplique de La Havane dans les allées des studios anglais.
Mourir peut attendre : juste la fin du Bond [critique]Sans ce fond vert géant d’une dizaine de mètres derrière les bâtiments, on pourrait jurer être à Cuba. « On a tenté de tourner sur place, mais c’était trop compliqué. Il aurait fallu faire exploser des murs et des plafonds, sans compter qu’ils voulaient savoir comment on allait dépeindre le pays politiquement, et qu’on aurait dû leur dévoiler notre scénario secret. Pas question. Donc on a commencé ici avec une petite section, et puis ça a évolué : on avait besoin d’une église, d’un bar des années 50, d’un hôtel, d’un barbier... Au final, on a bâti toute une petite rue, avec des intérieurs fonctionnels, sourit-il. Quand on construit un décor de James Bond, il faut bien avoir en tête que c’est un monde légèrement augmenté. Par exemple, j’adore le fait que Bond n’a jamais de valise, mais qu’il a toujours des affaires de rechange ! Il faut faire un pas de côté et trouver le glamour dans n’importe quel endroit. » À une heure avancée de la nuit, on jette un dernier coup d’œil au moniteur : sans surprise, Craig est toujours en train de tourner. Dans deux jours, il rendra son Walther PPK. Et un bout de l’histoire du cinéma quittera le studio avec lui.
Mourir peut attendre, le 6 octobre au cinéma.
Commentaires