Réalisateur du multi- Césarisé Adolescentes, Sébastien Lifschitz signe un nouveau sommet documentaire, en suivant une cadre infirmière de Marseille l’année précédant sa retraite
Quand et comment naît chez vous l’idée de Madame Hofmann ?
Sébastien Lifshitz : Tout part de la fin du tournage d'Adolescentes quand l’une des deux héroïnes, Anaïs, fait un stage dans un hôpital pour devenir aide- soignante. La voir au milieu de ces infirmières avec cette transmission d'une génération à l'autre m’émeut énormément et je ne peux pas m'empêcher d'imaginer la vie d'Anaïs dans 20 ans en me demandant quelle femme et quelle infirmière elle va devenir. C’est à ce moment- là que je parle à mes producteurs de mon envie de faire le portrait d'une infirmière que je suivrai pendant une année.
Pour Adolescentes, vous aviez pris du temps pour trouver la ville où vous alliez tourner avant de vous décider pour Brive. Le choix de Marseille a été plus rapide ?
Ce fut même immédiat car c'est une ville que je connais bien et dont j'aime profondément la culture assez rebelle. Et sachant que le personnel hospitalier a une obligation de réserve, je me dis que forcément là- bas, tout cela va déborder ! (rires)
Et pour mettre tout cela en œuvre, vous allez faire appel à une directrice de casting ! Un choix qui peut surprendre pour un documentaire…
On m’a en effet parlé de Cendrine Lapuyade, une directrice de casting incroyable qui vit à Marseille. Elle a notamment travaillé avec Jean- Bernard Marlin sur Shéhérazade et son nouveau film Salem. Je l’ai appelée pour lui parler du projet. Elle m’a tout de suite dit oui. Sauf qu’au moment où elle commence ses recherches, le COVID déboule et les hôpitaux se verrouillent. On n’a plus accès à personne
Comment le film va-t-il malgré tout poursuivre sa route ?
Cendrine me dit tout de suite de ne pas m’inquiéter, qu’elle va faire passer des annonces dans les services et que les premières prises de contacts se feront par téléphone, par Zoom… Sans elle, le film aurait pu s’arrêter là. Mais assez vite, des infirmières répondent à l’annonce. Et une fois par semaine, alors que je suis confiné à Paris, Cendrine me fait un point des gens avec qui elle a pu échanger. C'était génial car une préfiguration du film, une préparation à tout ce que j’allais vivre avec Sylvie (Hofmann)
Comment justement la choisissez- vous elle ?
A la fin de la première vague, Sylvie a appelé Cendrine car elle avait vu l'annonce. Mais elle n’appelait pour elle : elle souhaitait proposer des infirmières de son service. Et après avoir échangé avec elle, Cendrine m’appelle immédiatement pour me dire qu’il faut absolument que je la rencontre. Je le fais entre la première et la deuxième vague de COVID et là je suis moi aussi saisi. Sylvie venait de traverser toute cette première vague de COVID avec déjà 40 ans d'hôpital derrière elle mais aussi de faire un AVC. Chargée de tout cela, je la vois passer sans cesse de la colère à l'humour. Elle portait en elle tellement de vie et de récits que ce fut pour moi comme une évidence. C’est elle que je devais suivre. Et ce alors que pour pouvoir trouver des financements pour ce documentaire, j'avais été dans l'obligation d'écrire un texte dans lequel j'avais au fond fictionné un personnage d'infirmière que j'avais complètement idéalisé tout en le rédigeant en mode documentaire. Elle s'appelait Christelle et le projet Madame K.
Comment était cette Christelle que vous aviez en tête ?
Elle avait entre 30 et 40 ans. Séparée, deux enfants et ayant du mal à joindre les deux bouts en faisant des heures supp à n'en plus finir. Une sorte de profil type d'infirmière. Quand je rencontre Sylvie, elle ne correspond donc pas à ce personnage que je m’étais inventé mais je suis tellement saisi que je comprends que c'est elle la femme que je cherche depuis des mois. Et Cendrine m’organise un rendez- vous avec elle.
MADAME HOFMANN : PROFONDEMENT HUMAIN ET PUISSAMMENT POLITIQUE [CRITIQUE]
Que lui dîtes- vous ?
Je lui explique ce que sera le film : un an de la vie d'une infirmière à l'hôpital. Mais aussi que je veux la suivre dans sa sphère privée, en plus de l’hôpital, afin de refaire le parcours de sa vie, comprendre qui elle est.
Comment réagit- elle ?
Elle est d’abord complètement saisie. Elle m’assure qu’il n’y a pas plus banal qu’elle. Et je lui explique pourquoi je pense exactement l’inverse. Qu’elle est une personnalité hors norme avec 40 ans d’hôpital derrière elle. Et c’est au fil du tournage que je comprendrai que Sylvie est… en fait la Christelle que j’avais imaginée mais 20 ans plus tard ! Sylvie aussi a divorcé, a eu des enfants et a fait des heures sup à n'en plus finir car elle n'arrivait jamais à joindre les deux bouts ! Cet épisode raconte parfaitement la fabrication du cinéma documentaire : il faut être extrêmement ouvert à ce que la réalité nous amène. Pour Adolescentes, par exemple, je voulais faire le portrait d’un garçon avant que les rencontres me mènent vers deux jeunes femmes. Et avec Madame Hofmann, la rencontre de Sylvie m’a permis de faire le portrait d'une femme qui a traversé 1000 vies.
Sylvie Hofmann va mettre longtemps à vous dire oui ?
Non. Elle dit assez vite banco. Car c’est quelqu’un d’assez aventurière, assez curieuse. Ca l’amusait au fond. Elle m'a juste dit qu’elle ne voulait pas que je traîne ans ses pattes et que je ne l'empêche pas de travailler. Mais la caméra n’a jamais été un problème pour elle. Elle a tout de suite été à l’aise.
Vous saviez que cette année que vous allez filmer serait sa dernière avant sa retraite ?
Non, ça n’était pas du tout prévu ! Mais, avec les deux vagues de COVID successives, elle a senti qu’elle devait absolument s’arrêter – les charges mentale et physique étnt devenues difficilement supportables - , poussée aussi par sa mère qui lui dit de ne pas attendre d’être dans une tombe pour prendre sa décision et que l'hôpital continuera à fonctionner sans elle ! A ceci près, qu’elle avait un rôle- clé. Qu’elle avait réussi à créer une équipe, un collectif à son image avec une ambiance familiale car Sylvie est très maternelle dans sa façon de protéger et accompagner ses infirmières. Personne ne voulait partir de son service. Alors que depuis son départ, plus de la moitié sont parties !
Comment s’est construit le montage de Madame Hofmann ?
J’avais 150 heures de rushes. J’attends toujours d’avoir terminé le tournage pour me lancer. Et avec ma monteuse Delphine Genest, on commence par tout revisionner. Ce qui m’importe à ce moment- là est de vérifier que Delphine ressent les mêmes choses par rapport à ce que j'ai pu vivre au moment du tournage. Et quand ce n'est pas le cas, on en discute et c’est ainsi que Delphine amène réellement son point de vue car je n’ai pas envie que ce film soit ma seule lecture du personnage de Sylvie.
Vous vous fixez un objectif de durée ?
Non, là- dessus, je n’ai aucune règle. Le premier montage devait faire 1h55, soit dix minutes de plus que le montage final. Donc ce fut un travail de dentelle, à la différence d’Adolescentes où on partait de plus de 12 heures ! Le montage m’a simplement ici permis de recentrer le film sur Sylvie alors que j’avais imaginé au départ laissé plus de place aux personnages autour d’elle.
Madame Hofmann. De Sébastien Lifshitz. Durée : 1h44. Sortie le 10 avril 2024
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