A contre-courant d’une esthétique tapageuse, le chinois Jia Zhangke fait le pari d’un récit en sourdine. Ce qui n’empêche bien sûr pas le déploiement progressif d’un film habité de bout en bout.
A Cannes les films donnent l’impression de jouer des coudes pour se faire remarquer. Le public assoiffé d’effusions leur rend bien, saluant souvent les coups d’éclats esthétiques. Dans ce maelström, le nouveau long-métrage du cinéaste chinois Jia Zhangke a soufflé sur la croisette un vent plus discret. Or c’est peut-être le film qui, par son ampleur retenue a proposé le voyage le plus fou. La Megalopolis de Jia Zhangke n’est pas une vue de l’esprit. C'est la Chine, pays-monde que son héroïne traverse sur plus de vingt ans, depuis les feux d’artifice du changement de millénaire jusqu'à la crise du Covid. Caught by the Tides est donc l’histoire d’une femme à la recherche de l’homme qu’elle a aimé, disparu dans les limbes d’une Chine en pleine mutation économique et topographique.
Le cinéma de Jia Zhangke a la faculté magique de se régénérer sans cesse et certaines séquences qui composent ce Caught by the Tides proviennent directement de ses films antérieurs. Au centre, la Chine donc, mais aussi Zhao Tao, la muse qui arpente l’espace et le temps avec un calme olympien, une douceur souveraine. Elle n’a pas besoin de trop ouvrir la bouche pour exprimer tout à la fois son inquiétude (qu’est devenu l’être aimé ?), son courage (l’immensité du territoire et du temps ne lui fait pas peur) et son pressentiment (Et si c’était un lâche ?). Autour d’elle, le monde bouge, la construction d’un barrage s’apprête à entraîner le déplacement de millions de personnes, les immeubles des grandes villes poussent trop vite et bientôt une crise sanitaire mondiale imposera des masques mettant un peu plus de distance entre les êtres. Reste donc l’amour qui, on l’a bien compris, semble inatteignable. Alors le voyage continue. Zhao Tao ne s’apitoie pas. Elle marche vers d’autres éternités.
Caught by the Tides. De Jia Zhangke. Avec : Zhao Tao, You Zhou, Zhubin Li... Durée : 1h51
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