L'acteur des Soprano est parfait dans Quand vient la nuit.
Comment avez-vous vécu l’après Bullhead ?Bullhead est sorti en 2011 à Berlin avant d’attirer l’attention un peu partout dans le monde, y compris celle d’agents américains qui m’ont proposé de me représenter. Cet été là, le film s’est encore fait remarquer au Fantastic Fest à Austin, puis il a été choisi pour représenter la Belgique aux Oscars. C’est alors que mes agents m’ont demandé mon avis sur un scénario qu’ils pensaient idéal pour moi. C’était Animal Rescue (titre de l’époque) d’après la nouvelle de Dennis Lehane. J’ai adoré le script, et j’ai rencontré les producteurs Jenno Topping et Mike Larroca, mais David Cronenberg était attaché au film. Il a fini par laisser tomber, et le projet est allé à Neil Burger, mais lui aussi a eu des problèmes de casting. Après le départ de Neil Burger, ils me l’ont reproposé, alors que j’étais en train de développer une série avec Michel Mann et Mark Johnson pour HBO. J’ai dit oui. C’était le 25 octobre 2012, un an et demi après.
Quel était votre rapport avec les Etats-Unis ?J’ai toujours été à l’aise avec la culture américaine. Elle m’a beaucoup influencé, les films aussi bien que les romans et d’autres choses. Je suis allé à Los Angeles en 2007 pour y tourner un court-métrage, tout seul avec un petit budget de 5000 euros, un scénario que j’avais adapté d’une nouvelle d’Hemingway et ça s’est très bien passé. Je me suis toujours très bien senti à LA. A la fin, je disais « I love this city, and this city loves me ».
En matière de cinéma américain, vous avez des films fétiches ?Je n’ai pas une personnalité à avoir des fétiches. Je suis trop chaotique pour ça. Je change tout le temps d’avis. Je suis le mec qui oublie un fétiche. Ca peut durer une journée et c’est fini.
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Brooklyn n’était pas le décor d’origine de Dennis Lehane. Comment vous êtes-vous familiarisé les lieux ?A l’origine l’histoire se passait à Boston que je ne connais que par les films. J’avais des doutes, et le producteur n’a pas tardé à suggérer qu’il fallait peut-être changer. Dennis Lehane était d’accord. Tout ce qu’il lui fallait, c’était un quartier catholique, ouvrier, et plutôt froid en hiver. Tout d’un coup, Brooklyn s’est imposé à moi. On ne l’avait pas vu au cinéma depuis longtemps, et tout le monde était d’accord. Pour moi, c’est une porte vers l’Amérique qui brasse beaucoup d’influences européennes. Le slogan original de la ville est le même que celui de la Belgique, en vieux néerlandais : Eendracht maakt macht, L’union fait la force. Brooklyn a plusieurs visages, on y parle beaucoup de langues, dans un périmètre très limité. En cherchant des décors, j’ai fait connaissance avec les gens, avec leur comportement, leur style, les couleurs, les vêtements, les voitures, les quartiers, les filles, les garçons, les vieux, sans oublier les accents et les différentes langues. Mais pas besoin de faire des recherches sur le milieu des avocats, de la finance, ou des Russes. Il n’y a que des ouvriers. Et beaucoup de bars. Et les bars, je connais.
Cette diversité justifie le choix des acteurs d’origines européennes. Comment les avez-vous choisis ?Il y a une tradition d’Européens partis faire du cinéma en Amérique. Je me sentais très à l’aise. Mathias venait de faire Blood Ties et je savais que son anglais était parfait. Quant à Tom Hardy, c’est un artiste en matière de voix. Et il se rattache à la tradition des comédiens britanniques comme Michael Fassbender ou Christian Bale, qui ont fait carrière aux Etats-Unis. Noomi peut parler anglais à la perfection, mais je voulais qu’elle garde une pointe d’accent, comme quelqu’un qui vient d’une famille dont la langue maternelle était différente au début de sa vie. J’ai rencontré une danseuse qui parlait exactement comme elle. Elle venait de Brooklyn. Son père était russe, et elle pouvait parler parfaitement si elle voulait, mais elle était plus à l’aise en conservant des petites pointes d’accent. On a gardé ce style pour le personnage de Nadia. En plus Noomi avait déjà travaillé dans des films américains.
Pour son dernier rôle au cinéma James Gandolfini termine en beauté. Il est intimidant ?Pas du tout. C’est un doux géant. Quelqu’un de très modeste. Il a inspiré tout le monde en montrant l’exemple d’un grand artiste qui ne se repose jamais sur sa considérable expérience. Il a appréhendé son rôle comme si c’était son premier, et il s’est dévoilé publiquement avec ses incertitudes et sa vulnérabilité. C’était un privilège pour Tom et moi de voir James Gandolfini travailler comme ça. En plus il est très drôle, avec un humour de garçon, un peu effronté. Mais il a beau être très doux, on sent qu’il ne va pas hésiter à se fâcher en cas de besoin. Il ne l’a jamais fait avec nous. Il a adoré faire partie de ce projet. Il était très généreux aussi. Chaque semaine, il achetait des sushis pour toute l’équipe.
Vous avez cité George Bellows comme une influence. Quel tableau et pourquoi cette influence pour définir le style de Quand vient la nuit ?Ce n’est pas un tableau en particulier mais une série représentant des scènes banales de l’époque : l’homme de la rue, le cheval qui est tombé devant le tram, le petit garçon qui reçoit une gifle de sa maman parce qu’il a sali un truc. Bref, la vie à Brooklyn. Et en comparant, on s’est rendu compte que les vraies couleurs de Brooklyn sont encore présentes aujourd’hui, notamment sur les façades, et nous les avons retenues pour définir l’identité visuelle de la ville. En plus, j’aimais particulièrement une série de peintures nocturnes où le blanc de la lune ou de la neige est teinté d’un bleu extrêmement froid, qui contraste avec la présence de l’homme, représenté par petites touches de cyan additionné de rouge brûlé très chaud. Nous avions le cadre, les formes, les couleurs. Nous n’avons fait qu’ajouter la lumière, pour recréer une certaine atmosphère inspirée de Bellows.
Interview Gérard Delorme
Quand vient la nuit de Michael R. Roskam avec Tom Hardy, James Gandolfini, Matthias Schoenaerts, Noomi Rapace sort le 12 novembre dans les salles.
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