Dans son premier film, Joueurs, Marie Monge filme une passion amoureuse consumée par l’obsession du jeu.
Ella, jeune femme normale, est séduite par Abel, un flambeur qui l’entraîne dans sa passion du jeu. Sur ce canevas assez classique de passion destructrice, Marie Monge tisse un film mental qui suit la dérive de son héroïne incarnée avec sa fragilité habituelle par Stacy Martin. Dans le rôle de l’électron libre imprévisible, Tahar Rahim impose sa séduction maligne, rehaussée de violence rentrée. Bonne pioche pour Marie Monge.
Ce sujet est-il venu à vous ou êtes-vous joueuse à la base ?
Vers 2008-2009, j’ai découvert par hasard, un soir, le Club Eldo, un cercle de jeu, en accompagnant un ami. C’était un endroit devant lequel je passais tout le temps sans me douter de ce que c’était. J’ai été surprise de l’existence d’un tel monde parallèle, de la mixité des gens qui s’y trouvaient et de la fièvre qui y régnait. J’ai perdu tout de suite, donc je ne suis jamais devenue joueuse, mais ça m’a suffisamment intrigué pour entamer une sorte d’enquête sur les habitués que j’ai fini par côtoyer amicalement. J’ai fait ça pendant quelques années sans que cela soit lié à un projet de film quelconque. J’ai traîné dans plusieurs cercles, rencontré différents types de joueurs, leurs proches, des croupiers... J’ai développé une sorte de tendresse pour les perdants, notamment pour les flambeurs qui ont un rapport très intense à la vie.
Avez-vous pensé à faire un documentaire ?
Non, parce que dans la vie, les flambeurs sont comme des personnages de fiction. Ils sont éminemment romanesques. Ils me rappellent les anti-héros du cinéma des années 70, à la marge de leur époque. Ils n’ont pas ce rapport très actuel à l’argent, au succès, à l’ambition et sont en contact avec toutes les couches de la population, les pauvres, les riches, les minorités... Ils se réinventent tout le temps en dépit d’une extrême fragilité, c’est fascinant. Quand il s’est agi d’en faire un film, j’ai tout de suite eu envie de lier l’addiction au jeu à la passion amoureuse, qui consume de la même façon.
Le film montre que tout est brouillé : que l’addiction au jeu est aussi amoureuse et que la passion relève un peu de la loterie.
Exactement. Ella fait une sorte de pari sur Abel. Dès le début, elle sent que ça va mal finir mais elle a envie de vivre quelque chose de fort. Et pour retrouver cette intensité originelle, elle va être amenée à faire des choix de plus en plus dangereux. Ce qui porte les personnages dans un premier temps finit par les consumer. C’est la définition de l’addiction et le trajet du film.
Avez-vous tourné dans de vrais cercles avec de vrais gens ?
Il n’y en a quasiment plus à part le Cercle de Clichy qui est entièrement voué au poker désormais. Du coup, on a intégralement reconstitué une salle de jeux. La volonté était, tout en injectant une bonne dose de réalisme (il y a de vrais employés et de vrais joueurs), qu’à chaque fois qu’on pénètre dans cet endroit, il soit différent. Qu’il corresponde à l’état mental des personnages.
Il y a des choix narratifs audacieux comme cette ellipse au milieu du film un peu déstabilisante.
Ce principe d’ellipse était pensé comme un trou noir. Quand on est addict, on se souvient de sa première fois, puis d’un coup on oublie tout. On est dans un état qui nous dépasse sans savoir comment on en est arrivés là. On a coupé le lien avec les proches (qui sont impuissants), on n’a plus de prise sur rien.
La tension permanente, la caméra embarquée, fiévreuse, qui colle aux acteurs, Tahar Rahim... On pense beaucoup à Jacques Audiard.
Je l’entends. Il n’y a pas grand-monde en France qui travaille autant le genre en se tournant vers les personnages de marginaux. J’aime beaucoup ses films mais ce n’était pas une référence consciente.
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