Alors qu’on fête les 20 ans de la sortie de X-Men aux États-Unis (chez nous, c’était le 16 août 2000), voici l’histoire de la naissance d’une franchise qui a ressuscité le genre, et d’un studio qui n’a pas vu que la concurrence qui allait le tuer grandissait en son sein.
Tout a commencé par l’arrivée d’un Israélien grande gueule, réputé caractériel, un businessman hors pair fraîchement débarqué du monde du jouet. En 1993, Marvel s’offre 46 % de Toy Biz, une entreprise spécialisée dans les figurines dont Avi Arad est le PDG, qui décroche au passage le droit de créer et vendre des produits dérivés des personnages de la marque. Le bonhomme a un pied dans la porte et gravit rapidement les échelons au sein de la "Maison des idées", bien aidé par la lutte de pouvoir interne qui se joue quelques années plus tard, en 1996, alors que Marvel se déclare en faillite. Des têtes tombent chez les dirigeants, Arad garde la sienne en charmant les banques avec un discours imparable : "Spider-Man à lui seul vaut un milliard de dollars. Et vous allez vendre la totalité des personnages pour 380 millions ? Un seul vaut un milliard ! On a les X-Men. On a les Quatre Fantastiques. Ils peuvent tous devenir des films."
Depuis trois ans, ce fan absolu de comics dirige Marvel Films, une branche destinée à capitaliser sur ces franchises potentiellement très rentables. Stan Lee, qui galère depuis des années à vendre les droits des films Marvel aux studios hollywoodiens, est très vite écarté (dans son autobiographie, il dira diplomatiquement qu’Arad « semblait de moins en moins désirer » sa présence et ses conseils). À l’époque, Marvel fait du surplace côté ciné, à l’exception de quelques nanars fauchés, et ne semble pas réaliser être assis sur une mine d’or. "Faire prendre conscience aux gens de ce qui était juste sous leurs yeux, c’était littéralement un combat de tous les jours", peste Avi Arad, qui croit dur comme fer aux X-Men.
La Mechanic du succès
Le timing est alors idéal : après un projet de film avorté dans les années 80, Marvel vient enfin de récupérer les droits du Professeur Xavier et des siens. La productrice Lauren Shuler Donner (mariée au réalisateur Richard Donner) tombe sur de simples descriptions des personnages du folklore X-Men. Une histoire d’amour immédiate : "Ils étaient tellement séduisants, racontera-t-elle bien plus tard à Rolling Stone. Particulièrement Logan, alias Wolverine. Le personnage était aussi complexe que dramatique." Donner est sous le charme, mais Hollywood doute encore. Les derniers films de super-héros Warner ont été de monstrueux échecs artistiques (Batman Forever, Batman et Robin) et les chiffres ne sont plus aussi "super" qu’avant (les budgets enflent et les recettes, au mieux, stagnent).
Le genre n’est plus un bon filon et devient même de la kryptonite hollywoodienne. Mais c’était compter sans le patron de la Fox à l’époque, Bill Mechanic, qui est un passionné de comics (la légende veut que plus jeune, il ait payé ses études en vendant sa fabuleuse collection de BD). Il sent la puissance potentielle des super-héros pour le cinéma hollywoodien. Le succès de la série animée X-Men, diffusée par la chaîne Fox Kids (X-Men : The Animated Series, qu’Arad a d’ailleurs produite avant d’arriver officiellement chez Marvel), va l’aider et fin 93, début 94, le studio et la Donners’ Company s’offrent les droits des mutants pendant que Marvel se sauve temporairement de la banqueroute.
X-Men Apocalypse - Bryan Singer : « J’étais le premier à prendre les films de comics avec sérieux »Courant 1994, Andrew Kevin Walker – futur scénariste de Seven – est embauché pour écrire le script, qui ne sera finalement jamais utilisé. Pas plus que ceux de John Logan, James Schamus, Ed Solomon, Michael Chabon et même Joss Whedon. Tout le monde s’y casse les dents, le film X-Men piétine mais la Fox cherche activement un réalisateur et propose le job à Robert Rodriguez, qui refuse poliment. En parallèle, Bryan Singer, tout juste sorti d’Usual Suspects, est contacté pour mettre en scène Alien, la résurrection. Son ami producteur Tom DeSanto estime qu’il devrait plutôt jeter un œil aux mutants. Mais les comics, Singer n’en a cure. Il refuse par deux fois, avant de découvrir à quel point il était dans l’erreur en lisant enfin la BD et en regardant la série animée. Il devient officiellement réalisateur du projet fin 1996, et une date de sortie est alors fixée à Noël 1998. Elle ne sera jamais tenue, pas plus que le budget prévisionnel de 60 millions de dollars.
Sans script, Singer part tourner Un élève doué avec DeSanto et à leur retour en 1998, ils pitchent conjointement une histoire très proche de celle qu’on connaît. Le duo veut remettre du sens dans le super-héros et propose un film bien plus politique qu’il n’en a l’air, imaginé comme une allégorie de l’homosexualité et une charge contre le maccarthysme. Bill Mechanic est aux anges, lui qui aime les risques créatifs. Expurgé de quelques scènes trop coûteuses, le scénario est finalement confié à David Hayter, aidé en sous-main (son nom n’est pas au générique) par Christopher McQuarrie. Le casting peut enfin commencer et Lauren Shuler Donner convoque immédiatement Patrick Stewart. "Elle a pris quelque chose sur son bureau et me l’a montré", raconte l’acteur qui venait de passer sept ans à la télé dans la franchise Star Trek. "J’ai dit : 'Mais qu’est-ce que je fais sur la couverture d’un comic book?' Elle a répondu : 'Exactement.'”
Si le Professeur Xavier est une évidence, il n’en va pas de même pour Wolverine. Bryan Singer et Bill Mechanic ont les yeux rivés sur Russell Crowe et son look animal. Ce dernier commence par accepter, demande un salaire mirobolant puis finit par décliner. "Il m’a juste dit : 'Désolé mec, je ne peux plus faire ton film maintenant'”, raconte Mechanic, qu’on devine énervé. Dougray Scott est également envisagé mais il se blesse à la cheville sur les reshoots de Mission : Impossible 2. Donner pousse pour recaster le rôle : "On a commencé à tourner sans Wolverine et on a presque dû arrêter le tournage. Je suis allé voir ma directrice de casting et elle m’a annoncé qu’il y avait deux acteurs, dont Hugh Jackman", se souvient Mechanic, qui a porté le film envers et contre tout.
Jackman s’impose, même si le jeune homme est quasiment inconnu du grand public. Quelques hésitations plus tard (Angela Bassett ou Halle Berry pour Tornade ? Sarah Michelle Gellar ou Anna Paquin pour Malicia ? Terence Stamp ou Ian McKellen pour Magneto?), l’affiche est bouclée. Entre-temps, en 1996, Marvel Films est renommé Marvel Studios.
Un bleu nommé Feige
Dans ses bagages, Lauren Shuler Donner a apporté un petit anonyme d’à peine 27 ans pas encore dégarni, son ancien assistant qu’elle vient d’embaucher comme producteur associé. Kevin Feige, futur patron de Marvel Studios et du box-office mondial, est un bleu qui regarde partout, note le moindre détail et mesure sa chance de réaliser son rêve après avoir "promené les chiens, être allé chercher le déjeuner et lavé des voitures. Pour (lui), c’était le sommet de la réussite hollywoodienne".
Son amour (relativement récent) des comics le rapproche naturellement d’Avi Arad, également producteur du film. Feige travaille dur, apprend tout ce qu’il y a à savoir sur les X-Men, participe aux réunions et devient une encyclopédie vivante qui déniche des pépites au milieu des cases. "Parfois, je leur disais de faire attention, comme avec les cheveux de Wolverine durant les deux premiers jours de production. Ils n’étaient pas dans l’esprit de ceux des comics." Singer l’écoute et change la coupe du mutant griffu. Le tournage ultra secret de X-Men a lieu de septembre 1999 à mars 2000, entre Toronto et Hamilton, dans l’Ontario, avec un budget final de 75 millions de dollars. Un énorme risque pour l’époque mais une bouchée de pain en comparaison des moyens colossaux déployés par les blockbusters modernes. Le réalisateur s’implique à 100 % dans le projet et est déterminé à en faire le premier film Marvel "adulte".
Titanic, Fight Club... Quand la Fox produisait les plus grands films des années 90Il montre des images exclusives au Comic Con et les fans sont à deux doigts de tomber dans les pommes. Patrick Stewart : "Quand il est revenu de là-bas, il m’a dit : 'Ça va être énorme.'” Le film est un succès immédiat et rapportera 296 millions de dollars au final, avec un excellent retour critique. Pourtant, Bill Mechanic, qui vient de connaître un four monumental avec Fight Club, est remercié par Rupert Murdoch : "J’ai été viré la semaine de la sortie de X-Men parce que je l’appelais mon film d’auteur à 70 millions de dollars", se marre-t-il. "Personne ne pensait qu’on pouvait de nouveau faire un film tiré de comics." La catastrophe Batman et Robin était dans toutes les têtes et semblait avoir tué le genre. Mais c’est l’inverse qui se produit, X-Men redonnant un nouveau souffle à la machine super-héroïque pour les vingt années à suivre. Un proof of concept qui a eu un impact énorme sur la pop culture et la structure même de l’industrie hollywoodienne.
"Je suis particulièrement fier de ce qu’on a accompli, on était des pionniers", rappelait Singer à Première en 2016. "Je ne veux pas me vanter, mais j’étais le premier à prendre les films de comics avec sérieux." X-Men ouvrira notamment la voie à Sam Raimi et son Spider-Man, sur lequel Feige et Arad travaillent encore une fois main dans la main : devant le regain d’intérêt pour les films de super-héros, l’Israélien a en effet embauché le petit gars de Boston pour qu’il devienne son second chez Marvel Studios. Ils bosseront ensemble pendant sept ans et sur de multiples films... le temps pour Feige de se faire la main.
Arad en rade
Sans Bill pour rouler des mécaniques, la franchise mutante ne tient le cap qu’avec X-Men 2 (énorme succès public et critique) avant de se diriger droit dans le mur dès le troisième volet, X-Men : L’Affrontement final (2006), qui s’envole au box-office mais est unanimement détesté. À partir de là, les X-Men ne retrouveront leur mojo créatif qu’entre les mains de Matthew Vaughn (X-Men : Le Commencement, 2011) et se perdront dans une multitude de suites et de films dérivés abracadabrantesques auxquels plus personne ne semble croire, Bryan Singer le premier. En face, chez Marvel Studios, on commence à se dire qu’il serait plus intelligent de se lancer soi-même dans la production plutôt que de louer ses milliers de personnages au plus offrant. D’autant que la plupart des deals avec Fox et Sony ne rapportent pas tant que ça... Est-ce Arad qui a l’idée ? Feige ? Les dirigeants de Marvel ?
Les versions divergent mais en 2007, au milieu du tournage d’Iron Man (le premier film de la firme réalisé en autarcie), Kevin Feige est nommé président de Marvel Studios à la place de son mentor. Coup dur pour Arad, qui se réfugie chez Sony pour superviser les adaptations de Spider-Man. Dans une lettre ouverte publiée en 2014 sur le site Daily Mars, il confiait avoir "pardonné à Kevin d’avoir suivi les ordres et s’en attribuer le mérite [d’un univers partagé], mais il n’avait pas le choix". La suite, tout le monde la connaît : le MCU devient la saga cinématographique la plus rentable au monde et possède désormais, par l’intermédiaire du rachat de 21st Century Fox par Disney, les droits sur les X-Men. Quelque chose nous dit que cette fois, Kevin Feige ne se contentera pas de décider de la coupe de cheveux de Wolverine.
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