En attendant Wakanda Forever, Black Panther revient ce soir sur TF1.
Début 2018, Black Panther était en couverture de Première, et son co-scénariste et réalisateur, Ryan Coogler, y présentait son blockbuster en détails. Flashback, pour patienter jusqu'à la rediffusion du film, à 21h10 sur TF1, et la sortie de sa suite, demain au cinéma.
Marvel Studios s’apprête à redéfinir les contours de sa propre mythologie et à réaliser le cauchemar de tout producteur américain moyen : sortir un film au casting composé à 90 % d’acteurs noirs. Un vrai tremblement de terre à l’échelle des rapports compliqués qu’ils entretiennent avec Hollywood. Imaginé comme un miroir de son époque, Black Panther serait donc le premier film politique produit par la firme, avec derrière la caméra Ryan Coogler, cinéaste afro-américain dont l’œuvre est habitée par le regard qu’il porte sur les Noirs aux États-Unis (Fruitvale Station) et les notions de masculinité et d’héritage (Creed : L’Héritage de Rocky Balboa). Dans Black Panther, il propose à la fois une relecture superhéroïque de James Bond (T’Challa, le héros, est le premier 007 noir) et un récit d’émancipation chargé de doutes sur l’identité, la transmission (T’Challa succède à son père, roi du Wakanda, pays fictif riche en minerai) et la place du continent africain dans le monde. Une parenthèse nécessaire au milieu du Marvel Cinematic Universe, où, d’un coup, Thanos et ses pierres d’infinité perdent temporairement tout pouvoir de fascination. Les super-héros avaient-ils besoin d’être réveillés par les minorités ? Ryan Coogler n’est pas loin de le penser.
C’est la première fois qu’un film de super-héros aborde frontalement la question de la minorité noire. Pourquoi seulement maintenant?
Ryan Coogler : C’est tout bête : personne n’avait osé. Il fallait que quelqu’un se jette à l’eau. L’industrie cinématographique américaine a longtemps vécu avec des pratiques d’un autre temps issues de la société, marquées par un mélange de racisme latent et de peur. Des questions qui ne sont toujours pas réglées d’ailleurs, si vous voyez ce que je veux dire… Aujourd’hui, un môme de 13 ans ne vous croirait pas si vous lui disiez qu’il n’y a pas si longtemps, on pensait que si des Noirs jouaient au baseball, personne ne viendrait au stade voir les matchs ou que les femmes ne pouvaient pas voter aux ÉtatsUnis. Jusqu’à la révélation : « Oh, tiens, ça ne fonctionne pas comme ça en fait... » Mais le cinéma est un business. Quand les studios verront que ça marche, des tas d’autres vont nous emboîter le pas. Il y a longtemps eu à Hollywood la présomption qu’un casting composé majoritairement d’acteurs issus de la diversité ne pouvait pas rembourser son budget, sauf à être calibré pour un public cible défini par sa couleur. Et je peux presque comprendre cette inquiétude, bien sûr, il y a tellement d’argent en jeu. Mais ce qui se passe en ce moment, c’est que les studios commencent à se rendre compte que si le film est bon, les gens iront au cinéma. Et surtout qu’il existe un public large, au-delà de la simple niche. Est-ce que Wonder Woman a été un succès seulement grâce aux femmes qui sont venues dans les salles ? Pas plus que Doctor Strange n’a marché qu’avec les magiciens qui ont acheté leurs tickets.
Marvel Studios a bientôt dix ans et une certaine lassitude se fait ressentir du côté du public. La formule commence à être connue. Un film comme Black Panther est-il une manière de recharger ses batteries ?
Certainement. Mais il faut leur reconnaître le courage d’aller cette fois-ci en territoire inconnu et de se servir de cette nouveauté comme d’un moteur artistique. Quitte à apprendre sur le tas, comme ça s’est passé pour ce film. Ça en dit long sur leur évolution en tant qu’entreprise de divertissement.
Qu’est-ce qui a piqué votre intérêt dans Black Panther ? Après Fruitvale Station et Creed, ce n’était pas une évidence de vous retrouver sur un film de super-héros.
En 2015, je terminais Creed et j’étais en pleine introspection. J’étais obsédé par des questions sur mon identité culturelle, l’histoire des États-Unis, les effets de la colonisation... Je voulais absolument aller sur le continent africain, car j’approchais de la trentaine et je n’avais jamais fait le voyage. Il fallait que je comprenne mes racines. J’avais tout ça à l’esprit quand le plus grand studio du monde est venu me voir : « Tu veux réaliser un film sur Black Panther? » (Rires) Si je devais faire un long métrage de cette ampleur, c’était celui-là. Évidemment.
C’était quoi l’étape d’après ?
J’ai bien fait mes devoirs et longuement étudié les comics, mais Marvel avait beaucoup de suggestions. On n’a pas arrêté d’échanger, et puis un jour cette idée est venue sur la table : et si Black Panther était le James Bond de l’univers cinématographique Marvel ? Alors ça, je ne l’avais pas vu venir! Ça me semblait incroyablement cool, mais je voulais aussi développer des thèmes plus personnels. Ça veut dire quoi, être africain ? Quelle est la place des femmes sur ce continent ? J’avais envie d’explorer à fond cette culture. Et à travers T’Challa, qui succède à un roi adoré par son peuple, évoquer la question de l’héritage culturel. On a mis tout ça dans un mixer.
L’influence de James Bond est évidente. Et en même temps, il est difficile de ne pas penser à Shaft et à tout un pan de la blaxploitation. C’était ce que vous visiez?
Vous me parlez de Shaft parce que dans la scène du casino, Chadwick Boseman est la classe incarnée, c’est ça ? (une scène avec Andy Serkis qui vire au gunfight, NDLR). La réalité, c’est qu’on a si peu eu l’occasion de voir un personnage noir fort et cool à l’écran qu’on en revient toujours à Shaft. C’est presque inconscient. Attention : j’adore, hein. Ces films sont géniaux et ont été une source d’inspiration pour d’innombrables cinéastes, dont Tarantino. J’ai plus largement été inspiré par le cinéma des années 70 dans son ensemble. Les réalisateurs de ma génération ont été biberonnés aux films de cette décennie, donc évidemment, ça se retrouve dans Black Panther, en plus de ce feeling James Bond, période Casino Royale. Et comme dans l’univers Marvel le Wakanda est un pays très secret, on fait vite le rapprochement avec les familles du grand banditisme. Ils agissent dans l’ombre et il fallait qu’on explique pourquoi et comment ça marche. Ce qui nous a permis d’aller regarder du côté des films sur le crime organisé. C’est ce mélange des genres qui rend Black Panther si intéressant.
Visuellement, Black Panther est complètement cohérent avec les autres films Marvel, mais possède sa propre identité très marquée. Comment fait-on pour se distinguer tout en restant dans le cadre fixé ?
Déjà, j’ai demandé à travailler avec Rachel Morrison, ma talentueuse directrice de la photographie de Fruitvale Station. Et on a longuement réfléchi à la représentation du Wakanda : c’est un pays totalement habité par la technologie de pointe, mais on tenait à ce que ça ressemble à un endroit qu’on pourrait vraiment visiter. La culture africaine y est restée intacte, à l’abri de l’Occident. On y trouve des objets très récents comme très anciens, et parfois un mix des deux. Mais toujours avec cette touche africaine, très colorée. Ça se ressent dans la texture des murs, des véhicules... L’idée était de faire un truc ultra réaliste, empreint d’une certaine tradition, et en même temps super high-tech. C’est de l’afro-futurisme !
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