Toutes les critiques de Sue Perdue Dans Manhattan

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Quel bonheur de voir qu'il est encore possible aux Etats-Unis de faire un film "plein". Un film plein de sens, de sensations douces, de laisser-aller à se dire que dans cette cité foisonnante, on est parfois un peu seul.
    Loin des Godzilla et autres mastodontes tonitruants, ce film s'accroche à l'humain, le banalement humain, celui qui ne va pas toujours très bien ; ce qui fera bien entendu dire à certains qu'il est déprimant voire dépressif.
    Ils pourront tenter de justifier leurs propos, condamnant cet " égocentrisme trop analytique " où la vie présentée, loin des sunlights, des musiques sirupeuses et des sourires Disneyworld, n'est pas la vie qu'on leur montre d'habitude. En effet, ici, pas de mouvements inutiles, pas de précipitations brusques, juste ce laisser-aller à se dire qu'on existe.
    Sue perdue dans Manhattan se le dit. Elle parle aux citadins parce qu'elle a besoin de parler. Ses rencontres hasardeuses sont autant de répit à la confrontation de ses problèmes matériels : loyers à payer, job à trouver, amour à gérer.Oui, ce film énervera les allumés des prouesses techniques, des mouvements de caméra rapides et autres effets visuels qui procurent ce petit choc à l'oeil d'ailleurs de moins en moins étonné.
    Il énervera aussi les partisans de la défense des grandes causes, car Amos Kollek ne signe pas un film dénonciateur, il ne décrie pas non plus la vie moderne, pas de misérabilisme. Juste l'histoire d'une jeune femme élégante, dont le rouge-à-lèvres déborde un peu, et qui ne présente pas une peau tendue sur des abdos d'acier, une femme charmante, belle et touchante interprétée par la talentueuse Anna Thomson. Cette comédienne généreuse, qui rappelle Gena Rowlands dans Opening Night, avec son foulard, ses clopes, ses lunettes noires et son whisky, laisse à merveille exister les silences qui confirment à chaque instant un peu plus son mal-être.Passive, on a l'impression qu'elle se sent agressée par ce Struggle for life qui anime les acteurs de la ville. Ceux qui offrent du travail, ceux qui donnent les clés des appartements, ceux qui marchent dans la rue.
    Plans trop rapprochés de ces visages étrangers, cadrages qui la diminuent, nous font partager cette sensation de violence qui se dégage de la confrontation de deux mondes.
    Pourtant Kollek ne cherche pas l'empathie spectatorielle. Il ne juge pas, ne condamne personne, et laisse le spectateur libre de voir une fin optimiste ou pessimiste, car il ne conclue pas, même s'il sous-entend l'échec probable… La vie déroule son fil au hasard. A l'image du générique, qui s'ouvre sur une musique gipsy, une simple guitare sèche rejointe par un saxophone, le ton est donné : doucement cotonneux, bluesy.
    Et la vie va parce que rien ne va… C'est dans sa solitude, acculée aux rencontres, que Sue se brûle. Seule parce qu'elle ne voudrait plus souffrir ; elle ne laisse que peu d'emprise à l'Autre même si cet extérieur veut la rencontrer ; surtout quand il le veut. Presque trop fière, elle s'échappe dès qu'ils s'approchent d'elle d'un peu trop près. Fuyante, elle ne veut surtout pas qu'ils maîtrisent sa situation. Enchaînant les verres et les cigarettes, elle se tue à petit feu et s'étonne encore d'exister encore après tout ça. Elle laisse exister sa vie selon ce qu'elle ressent, ne joue pas à aller bien, même pour trouver du boulot. Sue n'est pourtant pas non plus exceptionnelle. Personne n'est épargné.
    Amos Kollek " vient " de la littérature. En écrivain prolixe - on lui doit trois succès de librairie et de nombreux scénarii - il accorde beaucoup d'importance au sens intime des mots, des images. Inutile d'alourdir le film d'une quelconque " preuve " confortant un savoir-faire cinématographique, l'histoire doit se dérouler simplement sous nos yeux pour qu'on s'y love confortablement. On appréciera encore qu'il ait chargé Chico Freeman de la musique du film, qui épouse parfaitement le sujet.Sue perdue dans Manhattan touchera tous ceux qui voudront bien se laisser-aller. Pourtant, gageons qu'une sensibilité féminine fera beaucoup de différences dans l'appréciation de ce film. Bref, d'enrichissantes discussions en perspective…Sue, perdue dans Manhattan
    De Amos Kollek
    Avec Austin Pendleton, Anna Thomson, Matthew Powers
    Etat Unis, 1997, 1h30.
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