- Fluctuat
Pas facile de donner son avis sur les films de Mel Gibson ces derniers temps. Autant on avait pu démolir facilement la Rançon, railler un soupçon, la naïveté de son premier projet de réalisation l'Homme aux deux visages, se foutre carrément de la gueule de son nanar avec Julia Roberts (le nom nous a même échappé : Complots, voilà, complots), autant la maîtrise et la violence de Braveheart nous avaient impressionné, l'Arme Fatale 4 ensorcelé et même sa version de Hamlet intrigué (si, si!).
Payback figure assez nettement dans le second ensemble, au point qu'on se demande si Mel Gibson mérite bien le registre dans lequel on l'a trop vite classé : les casse-cou sans prétention et les amuseurs de foire et pas une place mieux exposée aux côtés de Steve Mac Queen dans le registre des séducteurs qu'il faut pas provoquer à la légère.
A le regarder fumer sa six-centième clope du film (ce qui aux Etats-Unis est déjà un gage de qualité), la musculature solide et relâchée, adossée à un réverbère, jambes croisées et le regard bleu fixé sur l'objectif : une bagnole de truands à faire exploser, le rapprochement est assez vite fait. Plus Mel Gibson vieillit et plus il gagne en classe, en style, sans perdre de la simplicité et de l'énergie qui rendaient attachant, malgré ses outrances insupportables, le personnage de Riggs dans la série des Arme Fatale.
Le personnage de Porter a la même nonchalance que le Bullitt auquel Mac Queen prêtait son corps immense. Son physique ne se prend pas au sérieux, balance des épaules comme s'il n'avait rien à faire des épreuves, corporelles (la balle dans le dos, les fusillades, les combats corps à corps) et morales (la trahison du meilleur ami, de l'épouse), que le scénariste - pauvre garçon - allait lui jeter entre les pattes. L'oeil de Gibson est à la fois désabusé et extrêmement déterminé. Porter s'empare d'une idée débile : récupérer 70 000 dollars (autant dire peanuts à l'époque du passage à l'euro) à une organisation mafieuse, entre la multinationale et la structure familiale caponesque, et s'y tenir jusqu'au bout du film quoi qu'il en coûte à la morale et à la crédibilité de l'histoire.Dès lors, Porter, qu'on annonce mort dès le départ comme le Snake Plisskens de Carpenter, va agir comme dans les jeux vidéos en franchissant des tableaux successifs (qu'on ne vous passera pas tous dans le détail).
Le traître - tableau n°1 - a vraiment cette sale gueule de monstre qui vous empêche de passer au niveau supérieur. Porter lui rectifie le portrait après seulement une demie-heure de film, preuve que l'autre a bien résisté.
Tableau n°2 : sa poule junkie. Anecdotique.
Tableau n°3 : les truands du caïd du premier cercle. Facile grâce aux munitions glanées au tableau précédent.
Tableau n°4 : James Coburn, animé par le feu sacré sur son troisième âge, après le monumental Affliction, nous revient toujours bonifié. Gangster de catégorie 2. Pompes en croco. Dandy. Amateur éclairé de beaux objets. Porter utilise sa botte secrète.
Tableau n°5 : le chef suprême des méchants. Le chanteur country Kris Kristofferson qu'on aime décidément de plus en plus (bronzé, la gueule refaite et lisse d'aucune ride) dans ses rôles à la John Voigt de vieux mecs rusés et travaillés par la vie. Porter récupère un otage dans un des passages secrets et l'utilise pour faire cracher le caïd. Pour la scène finale, il se sert d'une arme absolue récoltée aussi sur le premier tableau.
Jackpot : Porter délivre la pépette - la pute de luxe, blonde, qui revient fort dans les films US après LA Confidential - qui lui tombe dans les bras chargés de biffetons.
GAME OVER.Il ne faudra pas oublier dans le rôle des ennemis qui assurent le lien entre les scènes : la mafia chinoise, ridicule de justesse jaune avec kung-fu, mitraillettes, fourgon de l'Agence Tous Risques et bombe sexuelle sado-maso (la combi cuir de Lucy Liu reste la grande trouvaille esthétique du film), et les flics ripoux Dupont et Dupond, coincés à la dernière minute par la grandiose Police des Polices, sorte d'antipathique cavalerie Nouveau siècle.Du jeu - enfin du film - on retiendra, en plus de ce qu'on a déjà dit sur Mel Gibson, un graphisme superbe, qu'on doit principalement à un casting de têtes de bandes dessinées sorti tout droit d'Angoulême, une jouabilité presque parfaite et une mise en scène sans fioritures. Les tableaux s'enchaînent sur un rythme effréné sans que le spectateur ait le temps de dire ouf ou de se demander ce qu'un type sérieux comme lui peut bien trouver à cette sorte de films. Obsédé par sa recherche du plaisir au même titre que Porter, rendu maboule par sa quête de vengeance, fait tout péter autour de lui, le spectateur regrettera qu'il n'y eut pas quelques tableaux supplémentaires et qu'on l'empêchât de refaire une petite partie dans la foulée.Payback
De Brian Helgeland
Avec Mel Gibson, Gregg Henry, David Paymer
Etats Unis, 1998, 1h40.
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