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Cinq ans après L’Economie du couple qui avait reçu un très bel accueil à la Quinzaine des Réalisateurs, Joachim Lafosse était de retour sur la Croisette au mois de juillet pour un événement forcément marquant dans son parcours : sa toute première participation à la compétition cannoise. Il en est hélas reparti bredouille, le jury de Spike Lee en ayant décidé ainsi. Mais cette sélection tombait à pic, comme le rebond idéal dans la foulée de la mésaventure qu’il a connue avec Continuer, cette adaptation très attendue du beau roman de Laurent Mauvignier qui a subi, malgré la présence devant sa caméra de Virginie Efira et Kacey Mottet- Klein, un double échec critique et public sans appel. La découverte des Intranquilles rappelle combien la carrière d’un cinéaste n’est qu’une succession permanente de hauts et de bas.
Joachim Lafosse y raconte une histoire d’amour envers et contre tout, celle qui unit Leila et Damien, en dépit de la bipolarité de ce dernier, sujet à des crises incontrôlables et incontrôlées. Le risque est immense dans ce genre d’entreprise de s’enferrer dans le film à sujet (la maladie mentale et ses dommages collatéraux pour l’entourage) doublé d’une démonstration de force du comédien incarnant les pétages de plomb à répétition. Soit précisément tout l'inverse de ce qu’est Les Intranquilles. Construit en étroite collaboration avec ses deux interprètes principaux qui ont nourri aussi bien les situations vécues par leurs personnages que leurs dialogues, le film transcende totalement son pitch. D’abord par l’interprétation tout en finesse et contrastes de Damien Bonnard, jamais dans la démonstration, dans le bégaiement par rapport à ce que les scènes racontent et toujours dans un pas de deux incroyablement complice avec une Leïla Bekhti au diapason dans un rôle moins « payant » certes mais qu’elle fait vivre à l’écran très intelligemment, comme par petites touches impressionnistes. Ensuite parce que la maladie n’est jamais à proprement parler le coeur des Intranquilles mais une empêcheuse de tourner en rond pour que ce couple puisse vivre pleinement et sereinement cet amour qui les unit, eux et leur enfant (remarquablement interprété par Gabriel Merz Chammah, fils de Lolita Chammah... et petit- fils d'Isabelle Huppert). Une ennemie dévorante qui, jour après jour, en dépit de la violence qu'elle charrie, ne fera que renforcer ce lien indéfectible qui les unit.
Les Intranquilles vous terrasse d’émotion(s) précisément car il ne sacrifie à aucune facilité larmoyante. Parce qu’on le vit en immersion dans la tête de Damien, dépassé par ce qu’il vit comme et dans celle de Leïla, refusant d’abandonner le navire malgré les tempêtes successives. Ce parti pris d’un double regard pourrait créer de la confusion. Mais là encore, il se produit l’inverse. L’un et l’autre se complètent et Lafosse réussit tout aussi bien les montées en tension étouffantes qui courent tout au long de son récit que ses explosions volcaniques à répétition où on bascule presque dans le cinéma d’horreur. Sa mise en scène épouse ces montagnes russes émotionnelles, les accompagne sans aucun geste démonstratif. Sobre, épurée, elle capture ce qui se passe dans la tête de ces deux protagonistes et s’en fait le passeur fidèle. Comme le cinéaste l’a révélé à Cannes, Les Intranquilles est un film à forte teneur autobiographique : quand il était enfant, son propre père a été hospitalisé pour bipolarité. Aujourd’hui, ce père est guéri, il n’a plus pris de lithium depuis près de 25 ans. Et parvenir à faire d’un sujet si personnel une œuvre aussi ouverte vers les autres et au final éminemment universelle n’est pas la moindre des réussites de ce geste cinématographique. Le huitième long métrage de Lafosse est son meilleur.