Après Hunger (2008) et Shame (2011), j’ai l’impression que 12 Years a Slave est le film qui conjugue le mieux votre cinéma viscéral et vos ambitions intellectuelles.(Réfléchissant.) Le corps et l’esprit. Intéressant... Au fond, le film ne parle que de l’esclavage physique et de l’esclavage mental.C’est le sens de la scène de la pendaison ?Tout à fait. Solomon est pendu et patauge dans la boue. Dans ce même cadre, on voit tout à coup les esclaves sortir de leurs cabanes pour aller travailler. S’ils n’y vont pas, ils seront punis. Et ils savent qu’ils ne doivent pas intervenir parce que sinon, ils finiront à côté de Solomon. En un seul plan, je voulais que le spectateur comprenne ce que l’esclavage comporte de souffrances physiques et de violence mentale.En tant que cinéaste noir, que ressentiez-vous en mettant en scène des images aussi violentes ?Je ne pense pas à ça. Je me suis astreint à beaucoup de discipline et, surtout, j’ai enlevé toute forme de sentimentalité. Les choses les plus horribles se produisent parfois dans les plus beaux endroits. C’est ce qui explique la perversité de notre monde. J’ai réalisé 12 Years a Slave pour donner à voir une époque et un phénomène qui n’avait jamais été montré dans sa réalité. Je voulais voir ces images. Vous les trouvez viscérales parce qu’elles vous choquent, mais vous savez qu’elles ont réellement existé. Seule une vingtaine de films ont été tournés sur l’esclavage et je ne les trouve pas satisfaisants.C’est-à-dire ?Ils ne sont pas réalistes. Les champs de coton du XIXe siècle, ce n’est pas Disneyland ! J’ai passé des mois dans les musées à parler à des historiens. Quand vous regardez les films sur ce thème, vous vous rendez compte qu’ils ne traitent jamais de la vie quotidienne des esclaves, de l’horreur que ça pouvait être. Pour rester fidèle à la réalité, je devais être alerte, concentré et n’avoir qu’un but : la vérité. Si j’avais commencé à m’interroger sur le sens des images, sur leur violence ou sur la beauté plastique de mon film, je me serais éloigné du sens et j'aurais échoué.Pourtant, vous n’avez jamais peur de l’esthétisation. 12 Years a Slave est votre plus beau film...Parce que, à mon sens il n’y a pas d’opposition entre l’art et l’histoire. J’ai beaucoup pensé à Goya en faisant le film, à ses peintures qui relatent des faits avec exactitude sans perdre en sensations. L’histoire de l’art est remplie de crucifixions sublimes alors que la crucifixion en soi est une chose abominable. Fallait-il ne pas les peindre ? Ou mal ? Je pense qu’on arrive à éviter l’esthétisation en se posant la question des faits avant celle de l’angle qui donnera le plus de vérité.Pourquoi cette vérité et ces images n’ont-elles jamais été montrées ?L’explication la plus évidente me paraît être la honte. Les gens ne pouvaient pas regarder ça. Pire : ils ne pouvaient pas « se regarder » faire ça. Et puis je pense que l’affronter oblige aussi à se confronter aux différents esclavages modernes. Les conditions de vie dans les prisons, la faillite du système éducatif, le chômage, la situation des drogués... Il y a une sorte d’héritage entre l’esclavage du XIXe siècle et toutes ces populations, toutes ces faillites.Pour vous, Solomon est-il un héros ?Oui, dans la mesure où il a tout fait pour préserver son humanité. Il s’accroche à l’amour, à l’idée des siens. Mes ancêtres ont survécu comme ça, en pensant à leurs enfants qu’ils voulaient protéger.Interview Gaël Golhen12 Years a Slave de Steve McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch et Brad Pitt sort en salles le 22 janvier 2014
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- Steve McQueen : "J'ai réalisé 12 Years a Slave pour montrer ce qui n'avait jamais été vraiment montré"
Steve McQueen : "J'ai réalisé 12 Years a Slave pour montrer ce qui n'avait jamais été vraiment montré"
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