Le journaliste David Fakrikian vient d’éditer un mook très complet sur la saga Mad Max. L’occasion de décrypter avec lui le rapport de Miller à la mythologie et d'évoquer son nouveau film.
Journaliste mais aussi réalisateur et scénariste, David Fakrikian cite la sainte trinité Argento - Carpenter - Miller, comme socle de sa cinéphilie. On aurait pu rajouter le nom du réalisateur de Terminator auquel il a consacré un ouvrage – James Cameron, l’odyssée d’un cinéaste (Fantask), mais « il est arrivé un peu après les trois autres ». Venons-en à George Miller dont la sortie du dernier né, Trois mille ans à t’attendre, coïncide avec l’édition d’un mook entièrement dédié à la saga Mad Max. David « Fakir » qui officie en tant que rédacteur en chef de DVDvision et reste un proche de la rédaction de Première, est à la tête de cette somme où il ausculte le moindre grain de sable accroché aux semelles du héros solitaire en cuir noir apparu au tout début des eighties du Bush australien. En attendant que George Miller achève le tournage chaotique de Furiosa et surtout que Fakir découvre enfin en salles son dernier film, « dans de bonnes conditions, avec du public », on a causé mythologie avec cet intarissable spécialiste.
Interveiw de George Miller à propos de Trois Mille à t'attendreQu’attends-tu d’un film comme Trois mille ans à t’attendre ?
Miller a appris de Spielberg qu’il faut toujours avoir deux films en gestation. L’un est un peu les vacances de l’autre. Si l'un - trop ambitieux - tarde à aboutir, le cinéaste peut respirer avec le second, à priori plus facile à mettre en place. Aujourd'hui, toute l'attention de Miller est tournée vers Furiosa. Il l’a en tête depuis au moins 2007, la forme du film ayant même évolué. A la base, en effet, Furiosa devait être un anime. N’oublions pas que Fury Road a aussi connu une genèse très longue. Il a bien fallu que Miller continue de travailler. Ses Happy Feet ont été tournés dans cet esprit-là. Trois mille à t’attendre, pensé pendant le confinement, peut être envisagé comme une respiration. Mais quelle que soit la nature de ses films, George Miller s’interroge constamment sur son statut de conteur, de passeur d’histoires...
A quel moment de sa carrière a-t-il eu cette prise de conscience?
A partir de Mad Max 2, le défi (1982). Souvenez-vous, on apprenait à la fin du film que toute l’histoire avait été, en réalité, racontée par l’enfant. Un enfant qui a sûrement grossi certains traits dans son récit. En cela, l’épopée devenait mythologique. Trois mille à t’attendre semble pousser cette réflexion encore plus loin et de manière plus directe encore. George Miller , je le répète, est extrêmement préoccupé par la façon dont le public reçoit ses films. Il prend souvent cette image de l’homme qui raconte des histoires au coin du feu. S’il n’y a que le feu pour l’écouter, à quoi bon...
Chaque film peut alors s’envisager comme une catharsis ?
La saga Mad Max a clairement cette fonction-là. A priori, Trois mille à t’attendre tiendrait plus de l'auto-analyse, d'une métaphysique. Il me semble que Miller y parle directement de lui-même. Miller aime surprendre le public et déjouer ses certitudes. Je me souviens du choc reçu en découvrant Mad Max 2 en 1982. Les bandes annonces présentaient Mad Max comme un sauveur messianique qui parvenait à convoyer la citerne remplie d’essence. En découvrant le film, on se rendait compte qu'en vérité, cette citerne ne contenait que du sable! Le héros avait donc été utilisé et trompé. L’illusion était parfaite. Miller aime mystifier le public. Il use de son pouvoir sur les histoires quitte à casser sa poupée. Le premier Mad Max reposait sur un scénario extrêmement dense dont Miller n’a pu adapter que la moitié faute de moyens. Le tournage a été très compliqué, les monteurs se sont enchainés, si bien que Miller pensait son film, raté. Or, les premières projections publiques lui prouvent le contraire. Cela l’a totalement ébranlé : « Pourquoi le film fonctionne ? Pourquoi parle-t-il à tout le monde ? » Ces réflexions ont entraîné un basculement. Le scénariste de Mad Max 2, Terry Hayes, le voyant un peu perdu, lui fait alors lire les ouvrages sur la mythologie de Joseph Campbell. L’écriture de Mad Max 2 va en être fortement imprégnée. Depuis Miller assume le fait d’être un conteur. C’est bien le sujet de Trois mille à t’attendre, non ?
Effectivement ! Mad Max serait donc un fil rouge narratif que Miller réactive sans arrêt...
Il en revient toujours à cette saga et ce, même si l’expérience du troisième volet [Mad Max, au-delà du dôme du tonnerre, 1985] a été difficile avec notamment la mort accidentelle de son producteur. Mad Max c’est un fétiche, à chaque fois, il se réinterroge sur sa place de conteur et de cinéaste. Alfred Hitchcock faisait la même chose. Certains s’étonnaient de ne pas le voir enchainer que des chefs-d’œuvre, ce à quoi Hitchcock répondait en substance que certains films lui servaient de laboratoire à idées. On en revient à ce que je disais plus haut. Avec Trois mille ans à t’attendre, Miller évacue peut-être des choses avant de passer à Furiosa. C’est en cela que chaque film de Miller est passionnant.
Le mook dédié à Mad Max est disponible sur le site DVDvision
Trois Mille ans à t'attendre, le 24 août au cinéma.
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