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Le cinéaste australien est de retour avec Furiosa : une saga Mad Max, prequel de Fury Road qui raconte les origines du personnage joué à l’époque par Charlize Theron. Mais Mad Max est-il possible sans Max ? On a posé la question au seigneur Miller.

PREMIÈRE : Furiosa est le premier film de la saga Mad Max sans son héros, Max. Comme il partageait déjà l’affiche dans Au-delà du dôme du tonnerre et Fury Road, on pourrait presque croire que vous avez consciemment organisé la disparition progressive du personnage…
GEORGE MILLER :
Non, non, pas du tout ! Je vais vous dire ce qu’il s’est passé. Avec Fury Road, on racontait une histoire qui se déroulait sur une période très restreinte, à peu près trois jours. Et pour pouvoir avancer au pas de course, nous devions tout savoir sur ce monde : le passé des personnages bien sûr, mais aussi chaque véhicule, chaque accessoire, chaque costume, chaque geste, chaque mot prononcé. Un travail presque anthropologique, qu’il a fallu faire avec les designers et les acteurs. Nous avons écrit l’histoire de Furiosa de ses 10 ans à ses 28 ans. Ce qu’elle a vécu dans la Terre verte, son enlèvement, l’évolution des Terres dévastées… Le passé de Furiosa est devenu un vrai scénario et celui de Max, que nous appelons The Wasteland, a pris la forme d’une sorte de nouvelle. Quand Fury Road a eu du succès, on s’est dit qu’il fallait absolument faire un film à partir du script de Furiosa. Et nous voilà en train d’en parler. (Rires.) Il n’était pas consciemment question de nous séparer de Max. D’ailleurs il est là, quelque part, caché dans l’arrière-plan…

Physiquement ou métaphoriquement ?
Vous comprendrez quand vous verrez le film. Mais si les planètes s’alignent et que tout fonctionne, j’aimerais aussi raconter ce qu’il s’est passé pour Max durant l’année précédant les événements de Fury Road. J’espère qu’on en aura l’occasion.

Il fallait tout de même oser relancer la franchise sans celui qui a été si longtemps son personnage principal.
L’histoire était si bonne qu’on devait simplement la raconter. Nous avions donné le scénario de Furiosa à Charlize pour qu’elle le lise avant Fury Road, le tout accompagné par des concept arts, afin de mieux visualiser l’univers. Elle a adoré et m’a demandé si nous pouvions tourner ce film en premier. J’ai répondu : « Mais Charlize, on a passé un temps pas possible à préparer Mad Max : Fury Road, on doit le faire d’abord. (Rires.) » Je suis ravi que ça se soit passé ainsi. Pour moi, c’est toujours l’histoire qui prime, mais beaucoup d’éléments entrent en jeu pour permettre la naissance d’un long-métrage. Avec Fury Road, j’étais surexcité par la possibilité de faire un pur film de poursuite, uniquement basé sur l’action cinétique, dans lequel toute l’exposition serait racontée en cours de route. Et en même temps, le conflit reposait sur des êtres humains : les cinq épouses du colonel Joe Moore (Joe Immortel). Il fallait qu’une femme les libère, parce que si ça avait été Max, un homme, un road warrior, l’histoire aurait été complètement différente. Tout s’est mis en place de façon très organique. Je crois beaucoup à ça dans la création d’un film.

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D’où vient l’inspiration d’un film Mad Max en premier lieu ? Des personnages ou bien de l’univers ?
Je dirais des personnages, mais toujours dans le contexte de l’univers. C’est un monde avec des règles très strictes que nous avons passé beaucoup de temps à imaginer. Pour les auditions de Furiosa, j’ai demandé à tous les acteurs – même s’ils n’avaient qu’un petit rôle – de faire une vidéo où ils imaginaient ce qu’il se passerait si la semaine prochaine, tous les problèmes de l’humanité se concrétisaient d’un coup. Ils ont spéculé sur la tournure des événements dans les dix premiers jours, les cent premiers jours, puis sur ce à quoi ressemblerait le monde dans quarante-cinq à cinquante ans, avec des poches de survivants dans le désert. Ça a été vraiment intéressant d’imaginer comment les gens se comporteraient, parce que ce genre de situation ferait ressortir l’essence de ce qu’ils sont. Au passage, on apprend beaucoup de soi-même. (Rires.) Nous avons été très rigoureux là-dessus, sinon c’est tout simplement impossible de raconter ce genre d’histoire. 

Qu’est-ce que les films Mad Max représentent dans votre filmographie ? Un terrain de jeu ? Un lieu d’expérimentation ?
Rien de tout cela, et tout cela à la fois. Après le premier Mad Max, je ne pensais pas avoir la capacité de tourner un autre film. L’expérience avait été très déroutante et j’étais persuadé de m’être planté. J’ai dû en passer par un long processus réflexif afin de comprendre pourquoi ce film marchait tout de même. Ce qui m’a conduit à Mad Max 2 : Le Défi, puis à Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre. Là, je croyais en avoir définitivement fini. Mais j’ai découvert que l’allégorie ou la mythologie est la forme la plus séduisante de narration, parce qu’elle est intemporelle. Il n’y a pas de gras, on va à l’essentiel. On me demande souvent comment je peux faire à la fois Mad Max et des films sur des cochons qui parlent ou des pingouins qui dansent. Mais c’est parce qu’ils ont beaucoup en commun ! Ce sont des fables. Au-delà des cultures grecques, romaines ou nordiques, je suis passionné par les premiers récits de l’humanité. 

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Comme ceux de votre terre natale, l’Australie.
Exactement. En Australie, la culture indigène a au moins 60 000 ans, soit presque la moitié de l’âge de l’Homo sapiens sapiens, l’homme d’aujourd’hui. Ce storytelling mythologique n’était pas seulement cérémoniel ou décoratif, mais aussi extrêmement pragmatique. Les peuples indigènes d’Australie vivaient dans un pays désertique, sans aucune plante à faire pousser ou d’animal à domestiquer. Ils n’avaient pas d’autre choix que d’être des chasseurs-cueilleurs, et ne pouvaient pas transporter leurs livres ou leurs écrits. Ils n’avaient pas le temps ! Alors à travers leurs chansons et leurs danses, ils racontaient où trouver de l’eau, de la nourriture, un abri. C’était le GPS de l’époque ! Ils se déplaçaient en groupes de 150 personnes et cartographiaient les territoires. Entre deux, ils se racontaient comment le vent, les étoiles, les montagnes ou les rivières étaient nés. Pour moi, c’est la fonction principale de la narration. C’est la raison pour laquelle j’en reviens toujours à l’univers de Mad Max : à travers ces films, j’essaie de donner un peu de sens au monde qui m’entoure.

Il y a un sentiment d’urgence constant dans les Mad Max. Tout y est une question de vie ou de mort. C’est ce qui nourrit la narration visuelle des films ?
Oui, c’est très certainement l’un des vecteurs qui entrent en jeu. La base de tout drame, c’est le conflit. Un conflit inattendu, qui s’intensifie. Pas un conflit constant. Plus il y a d’urgence, plus on touche à la quintessence des personnages et de l’humanité. Et l’urgence au cinéma, par opposition à toute autre forme d’art, passe par le langage cinétique. Quelque chose que même les enfants peuvent comprendre avant de lire leur propre langue. J’ai été très influencé par Kevin Brownlow [historien du cinéma] qui a écrit dans les années 60 La parade est passée... Un livre où il dit que toute la syntaxe du cinéma a été définie avant l’arrivée du son. Par la suite, les caméras ont perdu de leur agilité. Ce sont des gens comme Buster Keaton qui ont inventé le langage cinétique, et pour moi c’est l’expression la plus pure du cinéma. Elle contient intrinsèquement l’urgence dont vous parlez. C’est amusant, je ne l’avais jamais exprimé de cette façon.

Vous avez dit que Furiosa est différent de Fury Road. Dans quelle mesure cela se traduit dans sa grammaire visuelle ?
Fury Road se déroulant sur un temps resserré et Furiosa sur dix-huit ans, je devais utiliser des techniques de narration différentes. Par exemple, comment montrer le passage du temps au cinéma ? Il y a mille façons de le faire et j’y ai longuement réfléchi pour ce film. Disons qu’il y a des moments où l’on est immergé dans le présent et d’autres où les choses deviennent beaucoup plus abstraites… (Il s’arrête quelques secondes.) Encore une fois, tout découle du récit. Je crois que c’est la meilleure façon de l’expliquer simplement.

Furiosa : une saga Mad Max, avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke... Actuellement au cinéma.