Quentin Tarantino explique ce que son film de guerre doit au mal-aimé La Forteresse noire.
La Forteresse noire est le vilain petit canard de la filmographie de Michael Mann. Un film maudit. Sorti en 1983, ce deuxième long-métrage du futur réalisateur de Heat et Miami Vice, tourné après le coup d’essai / coup de maître Le Solitaire, est sa seule et unique incursion dans le genre fantastique. Une adaptation d’un roman de Francis Paul Wilson, dans laquelle des nazis affrontent une créature surnaturelle refugiée au fin fond de la Roumanie. Le film a ses moments (l’intro, surpuissante, sous influence Friedkin, l’exploration de la forteresse…), mais le résultat, très brouillon, traduit surtout la difficulté qu’eut le cinéaste de mener son projet à bien : tournage éreintant, mort du concepteur des effets spéciaux Wally Veevers durant la post-production, reshoots compliqués, montage saboté par la Paramount…
Pourquoi reparler de La Forteresse noire, alias The Keep (son titre en VO), aujourd’hui ? Il se trouve que le film est décortiqué par Quentin Tarantino et Roger Avary dans un récent épisode de The Video Archives Podcast, émission dans laquelle les deux réalisateurs reviennent sur des classiques ou des raretés de leurs années vidéoclub. Revoyant ce Mann mal-aimé, les deux compères l’ont trouvé aussi raté que dans leur souvenir et le considèrent toujours comme le nadir de l’œuvre mannienne. Mais Tarantino en profite néanmoins pour souligner le rôle non négligeable qu’a joué le film dans la conception d’Inglourious Basterds, l’un de ses plus gros hits, sorti en 2009. Bien que très différents, les deux films se présentent en effet chacun comme des relectures délirantes de l’histoire du IIIème Reich. Mais c’est une scène en particulier qui a frappé le jeune Quentin dans les années 80 :
"C’est un drôle de truc à dire, mais ce film a une connexion avec mon travail, explique le réalisateur de Pulp Fiction. [Quand j’ai vu le film], j’ai trouvé les 15 premières minutes putain d’incroyables : quand les nazis s’emparent du village, tous les références à Sorcerer, la bande originale de Tangerine Dream, les roues des camions s’écrasant dans les flaques de boue sous la pluie, les nazis assis derrière ces pare-brise crasseux. Wahou ! (…) Mais ensuite il y a la scène où la créature maléfique (une sorte de Golem designé par Enki Bilal répondant au nom de Radu Molasar – ndlr) a sa grande scène avec Ian McKellen, qui lui dit : « Les nazis exterminent les Juifs », et l’autre répond : « Ils osent ? Qui ose faire ça à mon peuple ? Je vais les DETRUIRE !!! » Voilà un truc excitant ! Je n’en pouvais plus d’attendre que ce moment arrive. Sauf que ça n’arrive pas dans le film ! (…) Mais ça a eu de l’effet sur moi. Tu commences à te faire ton petit film de ce à quoi ça pourrait ressembler, et ça eu une influence quand j’ai fait Inglourious Basterds. A partir du moment où j’ai vu ça, une petite graine a été plantée en moi qui m’a fait me dire que je devrais faire un jour un film qui tiendrait les promesses de cette scène. Et… je l’ai fait !"
Rien à voir esthétiquement, bien sûr, entre le fantastique horrifique aux accents lovecraftiens de La Forteresse noire et le barnum guerrier cartoonesque de Tarantino, mais d’un film à l’autre court donc cette idée d’une force surpuissante qui parviendrait à défaire les armées d’Hitler. Plutôt qu’un colosse des Carpathes aux yeux rougeoyant, QT choisira un bataillon de mercenaires emmené par Brad Pitt. Chacun son truc. La scène est visible ici, au début de cette vidéo :
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