On peut dire que Kinski Paganini est le film d’une vie. Klaus Kinski a nourri le projet pendant une vingtaine d’années. Selon la légende, il aurait même demandé à Werner Herzog de réaliser la biographie du violoniste italien. Sans succès, c’est pourquoi l’acteur aurait décidé de passer lui-même à la réalisation. On peut comprendre son intérêt pour un sujet pareil. En plus de sa réputation de virtuose, Paganini avait une personnalité à laquelle Kinski ne pouvait que s’identifier, quitte à forcer un peu le trait : artiste génial, rock star avant la lettre, sex symbol, amant insatiable, bon père, et figure tragique. C’est en développant chacun de ces points comme autant de chapitres que Kinski a conçu et structuré son film. Il a seulement oublié de l’écrire, et pour le filmer, il s’est jeté à l’eau comme son personnage de Cobra verde, avant de se faire lessiver dans les rouleaux et rejeter sur le sable.Il n’y a pas de dialogues dans Paganini, pas de narration non plus, pas de transition ni de liaison entre les séquences qui se suivent dans un ordre dont la logique est malmenée par l’usage inopiné de flash backs et de montage alterné. Pour ne rien arranger, le violon solo joué quasiment sans arrêt finit par vriller les tympans.Avant de connaître une sortie confidentielle et éphémère, Paganini a été remonté par les distributeurs italiens à la grande fureur de Kinski. Le double DVD allemand propose cette version salles d’ 1H24, ainsi que la version dite originale de 1H38. Supposée refléter la version voulue par Kinski, elle ne diffère de la version salles que par la longueur et l’ordre des plans, qui concernent surtout les scènes de sexe.Parmi les suppléments, la section la plus instructive est le making of (ultra brut, son comme image) qui montre autant comment le film s’est fait que pourquoi il ne peut pas fonctionner comme un film normal. On voit Kinski se contorsionner sur un lit, la caméra vissée sur l’œil, filmant le plafond et les murs avec frénésie. Cette prise de vues, dont il reste quelques fractions de seconde dans le montage définitif, correspond à la vision subjective de l’artiste en train d’administrer un cunnilingus vigoureux à l’une de ses maîtresses vénitiennes. On le voit aussi s’emporter avec fureur contre un technicien, ou donner des instructions délirantes et incompréhensibles à Bernard Blier (lui aussi dans son dernier rôle à l’écran) qui essaie de simplifier en disant simplement son texte.Un autre supplément propose un extrait de la fameuse conférence de presse de Cannes, au cours de laquelle l’acteur s’en prend violemment à Gilles Jacob pour n’avoir pas sélectionné son chef-d’œuvre pas fini.Au bout du compte, un étrange phénomène se produit. En dépit de tous ses excès, on ne se lasse pas de Kinski. A l’évidence, il était un monstre exceptionnel, inévitable et fascinant, dans la vie comme à l’écran. Sa filmo très prolifique comporte une vaste majorité de navets, simplement parce qu’il choisissait ses rôles en fonction du montant des cachets (le plus élevé possible) et de la durée des tournages (la plus courte possible). Malgré tout, sa seule présence suffit à rendre indispensables ses nanars tout autant que les quelques chefs-d’œuvre auxquels il a contribué, lorsqu’il était bien dirigé. Avec Paganini, il est parti sur un coup d’éclat tonitruant qui lui ressemble et le résume. Il s’était tellement identifié au virtuose italien qu’il avait fait jouer leur propre rôle à sa femme de l’époque Debora Caprioglio (qui jouera l’année suivante dans Paprika), et à son fils Nicolai (12 ans à l’époque) qu’on voit jusque dans les dernières images, veillant le cercueil de son père. IMDB affirme que Nicolai était le seul des enfants de Kinski à assister à l’enterrement de l’acteur à Los Angeles en 1991.
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