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Sur Première, ton producteur Vincent Maraval a fait part de sa colère envers la ministre de la culture Fleur Pellerin, qui avait déjugé le comité de classification en lui demandant de revoir sa copie (l’institution avait plaidé pour une interdiction aux moins de seize ans). Et toi, dans quel état d’esprit es-tu (l’interview a été réalisé la veille de la confirmation par le CNC de l’interdiction aux moins de seize ans) ?La commission de classification a rendu son verdict. À quoi sert-elle si on change tout à la moindre réclamation d’un "psycho" d’une association d’extrême-droite (Promouvoir), qui terrorise le Conseil d’État ? Mon film, s’il était finalement interdit aux moins de 18 ans comme c’est implicitement demandé, ne pourrait plus bénéficier de promotion, ne passerait plus en télé, bref il serait pénalisé de partout. C’est une manière de le ghettoïser. >>> Vincent Maraval sur la classification de Love : "C'est du terrorisme moral"Le plus simple n’est-il pas aujourd’hui de dire si les scènes sont simulées ou pas ?Il y a une majorité de scènes simulées pour des raisons simples : quand on filme des gens en gros plan, on ne leur demande pas de faire l’amour ; quand ils sont en plans larges ou de dos, même chose. Le problème, c’est qu’à partir du moment où quelque chose paraît explicite, dans l’esprit des spectateurs tout est vrai. Nymphomaniac, on le sait, est truqué du début à la fin, les scènes de sexe sont pourtant extrêmement réalistes. Après, si le ministère de la culture veut comptabiliser les choses… Un film, tu le juges dans son ensemble. Love véhicule-t-il une pensée positive sur l’amour ou une forme de sadisme envers un groupe social ? C’est hallucinant que Salo ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini, ou même Irréversible, soient interdits aux moins de 16 ans, alors que Love, qui est tout gentil à côté, reçoive une éventuelle interdiction aux moins de 18 ans. En quoi les images de mon film, plus douces et sentimentales que tout ce qu’on peut voir sur des sites porno accessibles, peuvent-elles heurter la sensibilité d’un ado de plus de 16 ans ? Si c’est nécessaire, expliqueras-tu séquence par séquence ce qui relève de la simulation ou pas ?Mais, on n’est pas en Arabie Saoudite ! Je n’ai pas à me justifier de quelque chose que j’ai essayé de représenter le plus correctement possible. Dire par exemple à la fin du générique qu’aucun acteur n’a été maltraité, c’est déjà concevoir l’acte sexuel comme un acte sale. Encore une fois, si l’interdiction aux moins de 18 ans est appliquée à tous les films montrant un sexe en érection, soixante films d’auteur au moins des dix dernières années vont devoir être requalifiés.>>> Rencontre avec l'homme qui fait trembler les distributeurs françaisLa question de la représentation de l’acte sexuel à l’écran te tourmente depuis longtemps, que ce soit dans certains de tes courts métrages (Sodomites, Destricted) ou dans tes longs (Seul contre tous, Enter the void)…(coupant) La représentation du sexe, c’est ce dont les gens parlent instantanément, mais Love est avant tout la représentation de la pulsion amoureuse, de la passion. Pour moi, la chose la plus obscène dans le film survient quand les personnages, comprenant qu’ils se sont trompés mutuellement, s’insultent copieusement. Je ne parlais pas d’obscénité, mais de représentation. Comment faire pour ne pas paraître trivial ?Quand les gens se caressent, je trouve ça mignon. Une fille qui masturbe un mec où un mec qui lèche une fille, c’est un acte d’amour. Ce n’est pas du sexe. OK. C’est tout de même quelque chose qui, si j’ose dire, t’obsède d’un point de vue plastique ?Quand tu fais du cinéma, tu t’intéresses à des choses que t’aimes filmer. Une fois, j’ai réalisé un court métrage sur Eva Herzigova où il y avait un chaton, qui a aimanté ma caméra… Je ne différencie pas ce petit animal d’un mec qui fait l’amour à sa femme en l’embrassant amoureusement : ce sont des images que j’associe à des moments de beauté qui sont parmi les plus marquants de ma vie. Peut-être que je suis très simple…Love est-il l’aboutissement de tes réflexions esthétiques ?Ça fait un moment que je veux traiter ce sujet. Il était en germe dans la séquence de fin d’Irréversible, avec Vincent Cassel et Monica Bellucci sur le lit. Encore une fois, c’est un film sur le sentiment amoureux proche de ce que je suis, de ce que je connais. Le personnage masculin est passionné de cinéma comme le sont la plupart de mes amis ; le fait que la cocaïne détruise tout dans un couple, j’ai vécu ça de près aussi… Pour une fois, mon expérience m’a davantage influencé que le cinéma.Tes films sont des trips sensoriels qu’on a du mal à imaginer très écrits. On se trompe ?Non. Le scénario d’Irréversible faisait trois pages, c’était quasiment un synopsis. Dans le cas de Love, j’avais juste un séquencier de sept pages, où étaient décrites sommairement les situations. Aucun dialogue. Je savais qu’on aurait une soixantaine de séquences au final. >>> Love : Gaspar Noé tente le grand film porno sentimentalTu as tout dans la tête ?Oui, mais une fois que tu as les comédiens et les décors, tu vois encore plus clair. L’idée est d’arriver sur le plateau et de projeter ce que tu peux faire avec l’équipe. Les dialogues, les déplacements, tu les improvises. La scène de Vincent Maraval (qui joue un flic partouzeur !) est par exemple totalement improvisée : il a fait dix propositions de dix minutes chacune dont je n’ai conservé qu’1 minute 30. Sur le dvd ou le blu ray, je mettrai dans leur intégralité la première ou la troisième prise qui étaient super drôles.Les voix post-synchronisées renforcent l’impression de cauchemar (ou de rêve) éveillé qui définit tes films. C’est très déstabilisant pour le spectateur qui est habitué à un certain réalisme.En l’occurrence, la post-synchro traduit le trip mental du personnage. Quand tu te remémores ta vie, tu ne penses pas au bruit des machines à café du bar ou aux familles qui jouaient dans le parc pendant que tu te disputais avec ta copine. La mémoire synthétise beaucoup le passé, donc on s’est dit que pour un film où il est question d’un type qui regrette un paradis perdu, c’était logique d’imaginer une sorte de théâtre de marionnettes avec un côté très récit. Je trouve ça joli. Pour les séquences de parc, mon ingé son m’a dit que la post-synchro aurait un rendu plus pur, plus cotonneux que le son ambiant. Et, en effet, la séquence en question est plus onirique grâce à cet effet. Je trouve ça moins artificiel que de mettre de la musique pour illustrer un état psychique.A quel moment du processus de fabrication choisis-tu tes acteurs ?Le plus tôt possible, en général. Sauf que là, il était question de couple et d’intimité. Il fallait donc trouver des acteurs qui s’entendent vraiment bien, au point de se foutre à poil dans un lit, de s’embrasser et de faire croire qu’ils sont amoureux. Ce n’est pas aussi simple que de choisir quelqu’un pour jouer un sniper en haut d’une colline… As-tu vu beaucoup de jeunes gens ?Je sais que beaucoup de jeunes veulent faire du cinéma, mais peu sont disposés à se montrer à poil, surtout les filles parce qu’il y a plus d’enjeux pour elles. Un mec, ça hésite moins à parader en érection ! Cela dit, tout le monde a pris un risque. Karl (Glusman) est un comédien qui monte, il a une vie très tranquille, on le verra dans les prochains films de Roland Emmerich et de Nicola Winding Refn. Aomi (Muyock) avait été mannequin, mais n’avait jamais posé nue. Klara (Kristin), c’est une révélation : je l’ai rencontrée en boîte, j’ai trouvé qu’elle dansait super bien, elle dégageait quelque chose de fort qui s’est vérifiée devant la caméra. As-tu pensé à des acteurs connus ?Je n’étais pas contre l’idée au début. Si j’avais trouvé un couple célèbre qui monte au front, pourquoi pas. Des années avant de faireIrréversible, je l’avais proposé à Vincent (Cassel) et à Monica (Bellucci) mais les vrais couples veulent garder leur intimité pour eux… Comment travailles-tu avec tes acteurs en général, et sur Love en particulier ?Je leur fais confiance. J’aime prendre des gens bien dans leur peau, qui marchent à l’instinct, qui ont envie de tenter des choses et aussi de foutre la merde. Aux acteurs qui se regardent, je préfère ceux qui regardent les autres. Sur le plateau, je leur disais, « jouez, ne vous arrêtez pas, ne vous posez pas de questions, on va voir ce qui se passe ». C’est l’avantage du numérique. On peut tourner autant qu’on veut, ça ne coûte rien. Aurais-tu aimé être en compétition officielle à Cannes ?Le risque était trop grand par rapport à l’état d’avancement du film. Thierry Frémaux a visionné, une semaine après l’annonce officielle de la sélection, un premier montage inabouti. Il a donc parié sur Lovee n le mettant en Séance de Minuit sans savoir à quoi il ressemblerait finalement. J’imagine qu’il s’est posé la question de le faire monter en compétition, comme ça avait été le cas pour Irréversible, mais c’était compliqué cette année avec tous les films français. Franchement, j’étais très content. Je n’étais pas obligé de monter en pingouin, je savais que le film catalyserait moins de haine de la part de la presse. Du coup, c’était très festif.>>> Cannes : hard ou soft la Séance de Minuit de Love Je te confirme, j’y étais. Tu étais très joyeux sur les marches, tandis que tes acteurs semblaient un peu coincés. Découvraient-ils le film ?Pas du tout, mais j’étais simplement plus bourré et fatigué qu’eux ! (rires) Ce genre de séance exceptionnelle ne pouvait pas, à mon avis, avoir lieu autre part qu’à Cannes, d’autant que le Festival manquait cette année de films « sulfureux » qui clivent un peu. Ça n’a pas loupé. Télérama a titré « Noé bande mou », Variety a écrit trois pages d’insultes… Tu parles de « soufre ». Comprends-tu que certains spectateurs présents à cette séance aient été déçus que le film soit plus sentimental que sulfureux ?Ce n’est pas un film à regarder à minuit, en fait. C’est un film diurne qu’il faut aller voir en début d’après-midi. Mais la campagne de promo n’était-elle pas contradictoire avec l’esprit du film ?Il n’y a pas eu de campagne d’affichage. Il y a eu des visuels qui se sont répandus de façon virale… On va d’ailleurs utiliser l’image des deux bouches s’embrassant pour l’affiche du film que la société Decaux (plus grosse société de publicité urbaine) refuse d’utiliser. On doit par conséquent imaginer une autre affiche pour leurs emplacements…Tu as envie de quoi maintenant ?Je ne sais pas encore, Il me reste beaucoup de travail surLove, je vais le présenter à droite et à gauche…Il est vendu dans beaucoup de pays ?Pas mal, oui. Je pense qu’il va faire plus d’effet dans les pays anglo-saxons. Comme il est en anglais et de facture américaine, ils auront l’impression de voir un film de chez eux tourné à Paris.Interview Christophe NarbonneLove de Gaspar Noé avec Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin sort le 15 juillet dans les salles