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Trois instants dans la vie d’un homme, de l’enfance à l’âge adulte. Une épopée intime qui veut bousculer les représentations traditionnelles (des Noirs, des pauvres, des gays). Mais en douceur.
Il y a au cœur de Moonlight une séquence très belle, vraiment attendrissante. Un personnage a donné rendez-vous dans un diner à son amour de jeunesse. La nuit tombe, une jolie mélodie s’échappe du jukebox. On frissonne. Si cette scène était interprétée par Tom Hanks et Meg Ryan, elle serait terriblement ringarde, atrocement datée. Mais comme les protagonistes sont ici deux Noirs gays (dont l’un est de surcroît un dealer très baraqué refoulant son homosexualité), disons que ça lui donne une autre dimension. C’est l’effet Moonlight, un film qui veut questionner votre regard, mais dans le cadre rassurant d’une jolie romance façon Sundance. De fait, on se frotte réellement les yeux lorsqu’on réalise qu’il n’y a ici quasiment aucun personnage blanc – et que ce genre de choses n’arrive jamais. Et combien de fois a-t-on été ému au cinéma par un doux baiser échangé au clair de lune entre deux ados black ? Pas assez souvent, sans doute, puisqu’on s’en étonne encore.
Une odyssée identitaire
Politiquement, sociologiquement, Moonlight est un film important. Cinématographiquement, tographiquement ? C’est plus compliqué. Barry Jenkins a un talent indéniable pour capter la lumière caressante des soirs de Floride, mais le dispositif de son film (trois moments d’une vie, trois acteurs différents) ne provoque jamais le vertige de Boyhood, son évident modèle, qui avait pour lui la magie du « temps réel ». Cette odyssée identitaire cernée par la misère, le crack, les tabous raciaux et sexuels, serait-elle plus puissante si elle était plus âpre, plus agressive ? Moonlight a choisi la révolution de velours.