Première
par Thierry Chèze
Qu’est- ce- qui fait qu’à un moment un cinéaste fend l’armure ? Quel déclic les entraîne à mettre plus d’eux- mêmes dans un film qu’ils ne l’avaient envisagé ? Sans doute un mix entre un désir pré- existant et un scénario qui vient soudain percuter leur propre vie. Pour Rebecca Zlotowski, il y aura un avant et un après Les Enfants des autres, qui contraste avec ses œuvres précédentes. Des films intenses mais dont la cérébralité pouvait tenir à distance, même si dans Une fille facile, elle se craquelait déjà sous l’impulsion de l’électron libre Zahia Dehar. Mais avec Les Enfants des autres, tout change. Zlotowski s’empare d’un sujet d’une quotidienneté banale – une histoire d’amour entre Ali, père séparé d’une fille de 4 ans et Sarah, quadra sans enfant mais qui aspire à en avoir un – avec un sens du romanesque inouï et la mise au premier plan d’un personnage plus habitué aux seconds et aux caricatures : la belle- mère. Une belle- mère qui va forcément développer un lien intime avec une enfant qu’elle risque de ne plus jamais revoir si l’histoire avec son père se termine. Tout cela est raconté de façon très concrète, dans les situations, les dialogues et la manière qu’a la mise en scène de s’effacer derrière eux. Aussi à l’aise pour filmer la sensualité de la chambre à coucher que les conflits qui rodent, la cinéaste n’a jamais écrit de personnages aussi passionnants de contradictions, à commencer par l’ex d’Ali (Chiara Mastroianni , merveilleuse), à mille lieux d’une mégère ennemie dont Sarah comprend vite que si elle voulait reprendre sa place, ce mouvement serait inéluctable et toute résistance vaine. Les Enfants des autres parle directement au cœur. L’exercice est du coup plus casse- gueule mais le pari gagné haut la main grâce aussi à la manière dont Virginie Efira et Roschdy Zem s’emparent de leurs personnages sans des fioritures qui auraient ici été hors sujet. Virginie Efira a beau enchaîner les rôles, elle trouve à chaque fois le ton juste qui fait qu’elle ne se répète jamais. Quant à Roschdy Zem, lui aussi ne cesse de fendre l’armure et la fluidité avec laquelle il incarne les failles d’un personnage égaré dans une Carte du Tendre devenue illisible impressionne. Deux immenses acteurs pour un film majeur, le plus beau de sa réalisatrice.