DR

Mieux organisée et désormais dotée d’une compétition internationale, la saison 7 de Séries Mania qui vient de s’achever marque l’arrivée à maturité du festival. Côté séries en revanche, ce constat : hors grands foyers historiques, les œuvres majeures, capables de concilier impératifs commerciaux et exigences artistiques, sont rares.

Où sont les grandes séries ? Sorti des Etats-Unis et du Royaume-Uni, on pouvait un peu se poser la question alors que s’achevait dimanche la 7e édition de Séries Mania. Car comme chaque année, les spectateurs ont pu découvrir sur grand écran quelques pépites made in HBO, FX ou la BBC comme la première saison de American Crime Story ou le dernier chef d’œuvre de David Simon Show Me a Hero. Mais concernant le reste de la programmation, en dix jours de projections, le festivalier aura pu voir de l'original et du réchauffé, du médiocre et du bon, parfois, avec pas mal de moyen au milieu. Rien qui s'impose avec la force de l’évidence comme LA grande série qui mettrait tout le monde d'accord, comme avaient pu le faire, par exemple, les séries israéliennes Betipul (le modèle de In Treatment) ou Hatufim (modèle de Homeland) présentées respectivement en 2010 et en 2012 à Séries Mania.

Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu cette année de coups de cœur. Chacun les siens et on ira des nôtres : Marche à l'ombre, jolie série canadienne sur des trentenaires exerçant le métier pas facile d'agents de probation pour ex-détenus. Grave mais pas dénuée d'humour, bien jouée... Une vraie découverte. Même chose pour Nobel, série norvégienne avec le toujours très intense Aksel Hennie (Headhunters) dans le rôle d’un soldat revenu d’Afghanistan mêlé à ce qui pourrait bien être (restons prudents, un seul épisode a pu être montré) un complot terroriste. La série a du potentiel, proposant comme le dit sa créatrice Mette Bolstad « le point de vue norvégien sur la guerre, à savoir celui d’un peuple pacifiste et en même temps engagé dans des opérations militaires au Moyen-Orient ». Il est presque dommage, justement, que la série n’ait pas suffisamment confiance en elle pour se passer de la béquille du suspense criminel. Parce que les thrillers, comment dire, ça va bien.

Thriller partout

Après dix jours de Séries Mania, c'est l'overdose de machinations et de meurtres glauques. Les organisateurs inauguraient cette année une compétition internationale. Or sur les sept séries soumises au vote du jury, aucune n'échappait au genre thriller, entendu dans toutes ses variations y compris fantastique avec la belge Beau Séjour et l'australienne The Kettering Incident. C’est au final l’argentine El Marginal qui a décroché le Grand prix, le jury ayant été sensible à l’insolence de cette série sur un ex-flic inflitré dans le pénitencier le plus dangereux du pays à la recherche d’une jeune fille kidnappée. Une série B sympa qui ne réinvente pas le film de prison mais a le mérite d’avancer de vrais partis pris de mise en scène (une très impressionnante course poursuite en ville au rythme d’une batterie jazzy).

Cette sélection, bien sûr, ne fait que refléter un état de fait : le polar domine plus que jamais sur la scène internationale. Et la faute en incombe encore et toujours aux Scandinaves et à l’onde de choc commerciale The Killing, qui refuse de s'estomper. Les producteurs et diffuseurs des quatre coins du globe continuent de s’en inspirer jusqu’à aboutir à d’étonnantes propositions comme Jour Polaire, très efficace et spectaculaire coproduction entre Canal+ et la télé publique suédoise qui duplique la recette de Bron/The Bridge (avec ses auteurs originaux aux commandes) en expédiant Leïla Bekhti en Laponie pour élucider un meurtre, en duo avec un procureur local. Et si The Kettering Incident, série « atmosphérique » donc pseudo-lynchienne avec disparition d'enfants sur fond de phénomènes paranormaux et de troubles mentaux, se déroule en Tasmanie, ce n’est pas par hasard. Particularité de cette île ? C’est la seule région de l’Australie où il fait un froid polaire et où les paysages rappellent, tiens, ceux de la Suède.

Besoin de diversité

La limite à laquelle fait face un festival de séries, est celle-là : la télévision reste une industrie soumise à une logique de marché (et de plus en plus, d’exportation) et à la différence du cinéma, ne jouit pas d’un circuit parallèle art et essai. Il y avait quelque chose de troublant à entendre David Chase se féliciter lors d’une master classe le 17 avril d’avoir avec les Soprano « ouvert la télé à autre chose que des produits » juste avant de le voir s’installer dans l’auditorium du Forum des Images pour juger en sa qualité de président de ce premier jury international The Five, polar ultra-calibré à la réalisation criarde signé Harlan Coben. Tout le contraire d’une série d’auteur. Pour voir le niveau général monter, il est urgent qu’émergent pour prendre le relais des Scandinaves et d’Israël, autrefois plus percutant (en compétition, un clone de Broadchurch à Tel-Aviv, Mama's Angel, pas mémorable), d’autres pôles d’excellence. Ce seront peut-être la Belgique (très séduisante Beau Séjour) ou l'Australie (intéressante Cleverman mêlant SF et folklore aborigène), qui n’ont pas démérité ces dernières années.  

Quoi que vale ce premier palmarès, l’adjonction d’une compétition internationale marque en tout cas un bond en avant qualitatif capital pour le festival qui donne un cadre éditorial bienvenu à la pléthore de titres programmés et a accompagné la montée en gamme de Séries Mania, perceptible à tous les niveaux (extension géographique à l’UGC voisin et au Grand Rex pour la soirée d’ouverture, séances de rattrapage, billetterie fluide...). Le festival, entièrement gratuit et ouvert au public, riche en conférences et en rencontres, est plus que jamais le rendez-vous le plus important consacré aux séries. Avant peut-être un nouvel élargissement l'an prochain, en conformité avec la mission confiée à la direction du Forum des Images par le ministère de la Culture pour en faire le "Cannes des séries".

On en attend en tout cas plus de diversité en compétition, avec, soyons fous, des comédies. Elles sont bien là, hors compète, et on y a vu de bonnes petites choses comme la poilante Irresponsable, du Français Frédéric Rosset (OCS). Et puis qui sait le St-Graal que représenterait une série US en lice pour le Grand Prix est peut-être à portée de main. Les organisateurs en faisant le choix tout à fait défendable de privilégier les premières mondiales se coupent automatiquement d'une large part de la production américaine. Les grands studios, en pleine préparation de la saison suivante, sont en général peu enclins à montrer leurs dernières créations en avant-première à cette période de l’année. Mais signe encourageant, AMC avait accepté cette année de présenter en séance spéciale ultra-sécurisée le pilote de Feed The Beast, sa série culinaire inédite, qui ne sera diffusée qu'en mai aux Etats-Unis. Une nouvelle création signée par exemple David Simon en compétition ? Oh oui, s’il vous plaît !