La Twilight Zone réinventée par l’auteur de Get Out arrive en France sur Canal +.
C’était le double uppercut du printemps dernier. Fin mars, Jordan Peele lançait dans les salles Us, le successeur de Get Out (soit le deuxième film le plus attendu de ces dernières années) tout en orchestrant une dizaine de jours plus tard, sur CBS All Access, un reboot télé de La Quatrième Dimension. Qui est, rappelons-le, quelque chose comme la plus grande série de tous les temps. Pas intimidé, Peele se permettait même d’endosser le costume cravate du maître de cérémonie originel, le génial Rod Serling, poète visionnaire et saint père de la télévision américaine. Quand on y réfléchit deux secondes, c’est d’une audace folle. Un peu comme si Brian De Palma, au faîte de sa gloire eighties, avait présenté un remake d’Alfred Hitchcock présente en s’asseyant dans le fauteuil de Hitch’. Au-delà du geste, mélange de révérence et de vampirisme, les deux premiers épisodes diffusés l’un à la suite de l’autre, "L’humoriste" et "Cauchemar à 30 000 pieds", servaient de note d’intention au show : il y aura, d’un côté, les épisodes "hommages" ("Cauchemar…" est une variation sur un épisode culte de la série, déjà remaké par George Milller dans le film collectif produit par Spielberg en 83) et, de l’autre, les épisodes "Jordan Peele", déclinant pour le petit écran les obsessions du nouveau maître des lieux, telles qu’elles ont pu être définies par Get Out et Us. "L’humoriste" ("The Comedian") parle ainsi, très littéralement, d’un comique qui réalise l’impact bien réel que peuvent avoir son art et ses vannes sur le monde.
Twilight Zone : rencontre avec Adam ScottLe costume de Rod Serling
Les épisodes payant leur tribut aux thématiques historiques de la série sont les plus faibles : "Un Voyageur", sa peur des Russes et son mystérieux visiteur, "Six Degrés de liberté" et son voyage vers Mars… Autant de passages obligés, rendus moins excitants encore par le choix regrettable de ne pas avoir imposé de format standard aux épisodes (les durées vont de 30 à 50 minutes), alors que tout le monde sait que ce sont les contraintes narratives imposées par la télé sixties (et ses coupures pub) qui donnaient une grande part de sa puissance à la Twilight Zone originelle. Mais ce reboot frappe fort, en revanche, quand on comprend que ces pastilles télé ont d’abord été conçues pour imposer leur "auteur" (il n’en écrit ni n’en réalise aucun épisode, mais son empreinte est partout) en storyteller numéro 1 de l’époque. Jordan Peele, manifestement, prend très au sérieux cette histoire de costume de Rod Serling : il ne fait pas que jouer ici au MC tiré à quatre épingles, il reprend à son compte l’image que Serling a fixé dans l’inconscient collectif : l’entertainer politisé, le raconteur d’histoires complice et bienveillant, qui a pris soin de cacher un message au fond du sachet de pop-corn. Les bons épisodes seront autant de fables "woke" et rageuses sur, en vrac, la prolifération des armes à feu aux Etats-Unis, la masculinité toxique, le racisme d’Etat… L’excellent "Replay" se regarde comme un complément de programme aux deux longs-métrages de Peele : un apprenti cinéaste, qui rêve d’être le prochain Ryan Coogler, y découvre une caméra très spéciale lui permettant de "rembobiner" le temps – très pratique quand un flic raciste sort son flingue au cours d’un contrôle d’identité…
Un petit chef-d’œuvre
Tout ça – la politique, le divertissement, l’intrication entre les deux, l’influence de Serling et les clins d’œil à l’histoire de la télé US – culmine dans le dernier épisode, "Blurryman", jouissif et méta au dernier degré, une ode à l’art éternel de raconter des histoires, dans lequel Zazie Beets joue une scénariste de la Twilight Zone 2019 traquant "L’homme flouté" qui s’est infiltré dans les épisodes qu’elle a écrits pour Jordan Peele… C’est le seul véritable grand épisode de cette première saison, mais c’est sans doute aussi l’un des plus grands de l’année, toutes séries confondues. Et tant pis si le chemin pour y parvenir est un peu chaotique : les fans savent bien que dans La Quatrième Dimension, l’essentiel, c’est de soigner sa chute.
The Twilight Zone – La Quatrième Dimension, créée par Rod Serling, avec Jordan Peele, sur Canal +.
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