Rencontre avec un spécialiste de ce secteur très prisé.
C’est devenu un enjeu majeur pour Hollywood, une révolution technologique telle qu’elle permet de donner vie à des projets encore inimaginables il y a quelques années. Rien qu’en 2019, Captain Marvel, Gemini Man et The Irishman se tireront la bourre pour savoir qui des trois réussira le mieux donner une seconde jeunesse à ses acteurs. « Ça va être très intéressant à observer », commente Thomas Nittmann, co-fondateur de Lola VFX, entreprise leader du secteur du rajeunissement numérique, qui collabore essentiellement avec Marvel. Après avoir travaillé sur les effets visuels de Captain America : First Avengers, Lola VFX a fait gagner une vingtaine d’année à Michael Douglas le temps de l’ouverture d’Ant-Man (2015). Depuis, la technologie de la firme basée entre les États-Unis et Londres s’est affinée et a été utilisée notamment dans Captain America : Civil War (Robert Downey Jr.), Les Gardiens de la galaxie 2 (Kurt Russell), Ant-Man et la Guêpe (Michael Douglas et Michelle Pfeiffer) et donc Captain Marvel (Samuel L. Jackson). « Si la concurrence nous fait peur ? Un peu », reprend Nittman. « Il faut dire qu’en ce moment le rajeunissement numérique est le Graal dans l’industrie. » Mais comment ça marche ?
À quel point la technique de rajeunissement numérique a évolué depuis une décennie ?
Thomas Nittman : Le premier film sur lequel on a travaillé était X-Men : L’affrontement final, en 2006. On a rajeuni Ian McKellan et Patrick Stewart dans une scène de flashback. C’était rudimentaire, on utilisait essentiellement du compositing (NDLR : ensemble de méthodes numériques consistant à mélanger plusieurs sources d'images pour en faire un plan unique) en 2D et 2.5 D. Mais maintenant on se sert beaucoup de la 3D : modélisation du visage à la période visée, création d’un squelette numérique, animation, tracking 3D… Le processus repose toujours sur la performance de l’acteur mais on a à notre disposition beaucoup plus d’outils qui permettent d’aller plus loin dans le rajeunissement.
Avez-vous toujours besoin d’une doublure physique pour le corps de l’acteur ?
On préfère, oui. Parce que si vous faites passer un acteur de 65 ans à 25 ans, il y a forcément des mouvements qu’il ne pourra plus faire naturellement. Quand on est jeune, on marche différent, on bouge ses mains différemment… Ce qui est crucial, c’est que ces mouvements ressemblent à ceux de l’acteur au même âge. On s’oblige à se rapprocher de la performance de l’acteur original autant que possible, à moins qu’on ne manque de temps ou qu’on se retrouve face à une contrainte technique. C’est aussi ce que souhaitent la plupart des comédiens, si ce n’est tous. Ceci dit, s’il y a un manque de budget, alors on travaille sans doublure.
On dit parfois que le procédé est similaire à Photoshop, mais avec 24 images par seconde. C’est une erreur ?
Ce serait un peu simpliste de dire ça. C’est significativement plus complexe à cause des mouvements de caméra, des changements de lumière, des mouvements de l’acteur, du second plan… Ça rend la tâche bien plus difficile que sur une seule photo retravaillée sur Photoshop. Mais c’est un bon outil pour commencer, histoire de se faire une idée de ce qu’on vise. Sans trop en dire, voilà comment ça se passe : on commence par faire des recherches ; on se met d’accord sur un visuel ; la doublure est castée ; on tourne avec l’acteur, la doublure et le second plan seul ; on fait un scan 3D de l’acteur et de la doublure ; on transfère notre modèle 3D de développement sur le modèle 3D de l’acteur ; le tournage en lui-même a lieu ; on crée un squelette si besoin ; l’acteur et sa doublure passent dans notre ‘cage à lumière’ ; on crée des éléments 3D et enfin on assemble ces différents éléments.
De combien d’heures d’images de l’acteur que vous voulez rajeunir avez-vous besoin ?
Plus on en a, mieux c’est. Comme je vous le disais, une des premières étapes est de réunir tout le monde pour qu’on se mette d’accord sur un look ou un film précis. C’est très important, parce qu’un acteur a souvent eu plein de styles différents sur une même période. On n’utilise jamais ces images dans le résultat final, à moins que le studio n’ait accès à des vidéos en haute résolution à partir desquelles on peut créer des éléments numériques. Le rêve pour nous est évidemment un scan 3D de l’acteur à l’époque, mais c’est très rare. On a d’ailleurs commencé à proposer un service pour scanner entièrement un acteur tous les deux ou trois ans. Mais ce n’est pas facile pour eux d’accepter de donner leur image afin qu’ils puissent être récréés dans de futurs films, voire même quand ils ne seront plus là…
Combien de temps vous prend une scène de rajeunissement de cinq minutes ?
Ça dépend à quel point c’est important pour l’histoire. Disons que cinq minutes de film représentent soixante plans avec l’acteur rajeuni. Si on part sur un lifting numérique de 20 ans, ça représente environ un mois, un mois et demi. Ça prend beaucoup plus de temps si on parle d’un rajeunissement de 50 ans ou qu’au contraire on vieillit un acteur. Et certaines productions préfèrent utiliser du maquillage au départ. Dans ce cas, on arrive assez tard dans la post-production. Sauf que le résultat n’est jamais aussi bon que si on avait tout géré du début à la fin.
Quel acteur Marvel Studios a été le plus dur à rajeunir ?
Je n’ai pas le droit de vous le dire (Rires.) Mais plus il faut rajeunir, plus c’est difficile. Par exemple, c’est assez simple de passer de 35 à 20 ans, mais de 65 à 25 ans, c’est une autre paire de manches. Pareil si la forme du corps a changé. En fait, tout dépend si l’acteur ou l’actrice a bien vieilli.
Est-on proche d’obtenir une copie numérique parfaite d’une acteur, qui lui permettrait d’apparaître éternellement jeune à l’écran ?
Non. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour nous aider est intéressante, mais c’est en fait beaucoup plus dur que ça n’en a l’air. Reste que 2019 est une année charnière avec ces trois longs-métrages qui utiliseront le rajeunissement numérique durant une bonne partie de l’histoire.
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