Suzanne Jouannet dans Les Choses humaines d'Yvan Attal
érôme Prébois / 2021 CURIOSA FILMS – FILMS SOUS INFLUENCE - GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA

Elle fait des premiers pas impressionnants en jeune femme accusant le fils de la nouvelle compagne de son père de l’avoir violée.

Qu’est ce qui vous avait donné envie de devenir comédienne ?

Suzanne Jouannet : Même si aucun membre de ma famille évolue dans ce milieu, je n’ai jamais eu envie d’autre chose,. Je pense que j’avais un énorme besoin de reconnaissance. Et qu’il passait pour moi par le théâtre Je voulais être sur le devant de la scène et surtout pas devant une caméra. Je ne voulais pas qu’on me reconnaisse – ce qui peut paraître totalement paradoxal, j’en conviens - mais malgré tout pouvoir dire des choses et jouer. L’idée d’en faire mon métier n’est cependant venu que plus tard, au fil de regards portés sur moi par certains de mes professeurs, de leurs encouragements à tenter ce parcours. Dans les écoles de théâtre, même s’il y a toujours à boire et à manger, on m’a montré que jouer était un art, on m’en a fait percevoir toute la beauté. Et que jouer pouvait donner un sens à ma vie. Au Cours Florent, un prof a vraiment tout changé pour moi : Jerzy Klesyk. Grâce à lui, j’ai arrêté de faire ça en dilettante pour me mettre à bosser comme une dingue

Les Choses humaines d’Yvan Attal ne marque pas seulement vos premiers pas au cinéma mais aussi votre premier casting. Comment s’est- il déroulé ?

J’ai dû faire une vidéo pendant le confinement et j’étais persuadée qu’il s’agissait d’essais pour entrer chez une nouvelle agent par laquelle je voulais être représentée. Il s’agissait d’une entre mon personnage de Mila et celui d’Alexandre dans un poste de police. Et puis, après le confinement, cette agent me rappelle et m’explique que cet essai était en fait destiné à Yvan Attal qui a aimé cette vidéo et souhaite me rencontrer pour son nouveau film. La seule info que j’ai eu à ce moment- là est qu’il s’agissait d’un film choral. Et dans ma tête, allez savoir pourquoi, choral rimait avec… comédie musicale ! (rires) Donc je m’attendais à devoir chanter et danser. Ce n’est qu’au dernier tour de l’audition que j’ai pu lire le scénario et comprendre ce qui m’attendait !

Comment avez- vous commencé à travailler sur ce personnage ?

J’ai commencé par lire le roman de Karine Tuil dont le film est adapté mais le personnage de Mila y est beaucoup moins présent que dans le scénario d’Yvan qui lui consacre, lui, toute une grande partie.

Qu’est ce qui vous plus précisément séduit dans ce scénario ?

L’idée d’avoir à jouer quelque chose d’aussi profond et complexe. Honnêtement, j’ai du mal à croire d’avoir cette chance- là pour mon premier casting et mon premier rôle dans un long métrage.

Quelles pistes vous donne alors Yvan Attal ?

Le travail avec Yvan commence au moment des essais. Car je pense qu’Yvan voulait que l’actrice qu’il allait choisir colle le plus possible au rôle pour ensuite réorienter les choses pour l’emmener où il le voulait. Donc il me dirige vraiment. Ce sont autant de séances de travail que d’essais. Il m’explique qu’il fallait que je sois spontanément plus timide et que je gomme quelques tics liés à ma pratique du théâtre. J’ai appris à parler moins fort par exemple. Et puis Mila a 17 ans. Et même si j’ai l’air jeune, il fallait trouver comment tricher pour que cela soit crédible physiquement. Tout cela a constitué la base du travail, complétée par une poignée de répétitions pour les scènes de procès afin de voir là encore si j’étais dans le ton de ce qu’il cherchait

Il vous conseille des films à voir ?

Oui. Kramer contre Kramer ! Et ce film m’a énormément nourrie. La scène finale avec Meryl Streep tellement incroyable m’a aidé à comprendre ce qu’Yvan souhaitait pour ce rôle de Mila. Mais une fois ses premières indications données, il m’a laissé libre de travailler de mon côté sans intervenir. Avec derrière la tête, l’envie que je trouve des choses sur le plateau le jour J.

En quoi a consisté ce travail ?

Je suis une grosse bosseuse et j’adore ça ! Je me suis énormément documentée sur le sujet et j’ai même essayé d’aller dans un tribunal mais ça n’a hélas pas été possible. En tout cas, je me suis créée tout un imaginaire autour de Mila en m’appuyant sur tous les outils qu’on m’avait donnés au fil de mes cours de théâtre. Et comme c’est la première fois que je me retrouvais autonome dans la création d’un personnage, je prenais ceux dont j’avais envie. J’étais guidée par une envie très égoïste de me faire plaisir. Comme j’avais eu ce rôle et que j’avais compris qu’Yvan me trouvait sur la bonne voie, je pouvais m’appuyer sur ces certitudes- là. Et mon plaisir c’était d’y penser tout le temps. Le jour, la nuit. C’est ça la magie de ce métier

 

Vous avez travaillé en amont du tournage avec Ben Attal qui incarne le présumé violeur de votre personnage ?

Non et c’était une volonté d’Yvan que les premières interactions réelles aient lieu sur le plateau. Le tournage a débuté par les scènes de tribunal et je trouve que c’était une bonne idée de nous y avoir plongés en laissant chacun travailler de son côté pour mieux vivre le moment présent. Et à ce moment- là, j’ai retrouvé le directeur d’acteurs précis des essais pour nous emmener Ben et moi exactement à l’endroit où il voulait qu’on aille. Son langage est clair. On comprend instantanément ses directions

Le film joue sur l’ambiguïté des versions entre celle de Mila et celle d’Alexandre. Est-ce que dans votre tête vous jouez vous- même cette ambiguïté ou vous vous appuyez sur la certitude de la culpabilité d’Alexandre ?

Quand j’ai lu la scène d’essai – et ça m’a agacé car je détester penser cela d’une femme qui va porter plainte pour viol – je trouvais Mila très ambigüe. C’était du coup complexe de savoir comment la jouer avec aussi peu d’informations autour. Mais à la lecture du scénario, il est devenu évident qu’elle ne mentait pas et qu’Alexandre l’avait agressée. Jouer Mila a donc consisté à dire ma vérité !

Qu’est ce qui a été le plus complexe pour vous sur le plateau ?

Les scènes les plus banales, celles moins spontanément émotionnelles, me tétanisaient. Mais j’ai appris en les faisant. On m’a ainsi expliqué qu’il fallait penser à autre chose pour que tout paraisse naturel. Et ce conseil m’a été très précieux. Mais plus largement, sur le plateau, c’est l’angoisse de faire attendre toute une équipe quand on commence à buter sur une scène qui a pu me tétaniser. Surtout la nuit ! Dans l’absolu, il faudrait ne surtout pas y penser. Mais quand on débute, c’est la première chose qui vous vient à l’esprit. Et ça ne fait qu’empirer les choses ! Il faut réussir à s’imposer, à oser dire qu’on a besoin de prendre 10 minutes pour soi afin de parvenir à jouer correctement. C’est en cela aussi que j’ai énormément appris là encore grâce au soutien d’Yvan qui comprenait parfaitement ces impasses et me poussait à prendre ce temps pour moi.