Il y a 20 ans cette suite plus ou moins formelle d’In the Mood For Love était un choc esthétique. Rencontre un peu folle avec l’artisan de sa somptueuse photographie.
Christopher Doyle avec son allure de diablotin mal peigné est un esprit libre. Et comme tous les esprits libres, il est parfois difficile à suivre. Sa parole à lui c’est la lumière. Ce chef-opérateur de 72 ans, parti de son Australie natale pour naviguer à travers le Monde est célèbre pour avoir éclairé les chefs-d’œuvre de Wong Kar-wai depuis Nos années sauvages (1991) jusqu’à 2046 (2004) qui ressort aujourd’hui dans une somptueuse copie restaurée 4K.
2046 est une sorte de prolongement onirique d’In The Mood For Love dont il reprend outre son casting – le duo Tony Leung, Maggie Cheung - cette suavité mordorée baignée d’éclairages aux néons, rythmée par une mise en scène caressante…
Cette esthétique si caractéristique est autant la signature de WKW que de Doyle, un des rares chef op dont le nom s’est propagé au-delà de cercles purement cinéphiles. Il a également travaillé avec la crème du cinéma d’auteur américain : Gus van Sant (Psycho, Paranoïd Park), M Night. Shyamalan (La jeune fille de l’eau) ou encore Jim Jarmusch (The Limits of Control)
Entretien avec Wong Kar-wai pour In The Mood For LoveDepuis un appartement de Shanghai, Christopher Doyle bidouille comme il peut son ordinateur pour que son visage apparaisse lors de cette visioconférence un peu lunaire. Plus qu’une conversation, le fil de cet entretien tient plus du happening où l’esprit s’évade où il veut, où à sa demande, on écoute en intégralité une chanson de Françoise Hardy, Comment te dire adieu, essayant de lui traduire ici et là les paroles.
"Si 2046 avait été un film français, il aurait été initié par Françoise Hardy et cette chanson serait la plus juste illustration de la profondeur de cette histoire…"
Précisons ici que 2046 est une fresque intimiste autour d'un écrivain qui depuis la fin des sixties se projette dans un temps futur et fantasmé (2046 donc!) Un occasion pour lui de retracer le fil de sa vie sentimentale.
Pour lancer l’entretien, nous lui avons d’abord demandé de fermer les yeux, de penser à 2046 et de nous décrire l’image qui lui vient immédiatement à l’esprit.
"Je vois une image en noir et blanc. Un couple dans l’exiguïté d’une voiture. La caméra les encercle tout doucement. C’est aussi simple que ça et pourtant c’est une séquence parfaite, la plus belle que j’ai jamais tournée. 2046. C’est plus qu’une date c’est un lieu métaphorique…"
Sur sa lancée, Doyle élargit le champ des possibles :
"Est-ce que le paradis existe ? Personne n’en est revenu pour nous le dire. On doit donc se contenter de la métaphore, c’est ce que raconte Wong Kar-wai ici. Le film est par ailleurs extrêmement prophétique dans sa vision de Hong Kong. Le futur qu’il décrit est le notre aujourd’hui. Tout est bouleversé, seul reste l’amour. On en revient à ce couple dans la voiture en noir et blanc. Il représente l’éternité".
Lui le chef-opérateur des couleurs soyeuses au néon rêverait donc en noir et blanc ? Réponse sibylline.
"Grande question! Est-ce qu’en dormant nous voyons les choses en couleurs ou en noir et blanc ? Je n’en sais rien. Tous les gens qui reviennent de ce monde futuriste qu’est 2046 ont la même crainte, qu’on leur retire leurs souvenirs. Si les images s’effacent alors la couleur aussi… "
Doyle revient brutalement à notre présent pour cesser toutes extrapolations :
"Bon, je ne suis qu’un cameraman, hein ? Juste un instrument de ce voyage qu’est le film ou devrais-je dire, le tableau. Wong Kar-wai est un peintre. In the Mood for Love était très concret. 2046 est sa face abstraite."
On reste là-dessus. On n’a qu’une envie se reconnecter à ce 2046 qui pose plus de questions qu’il n’a de réponses à donner. Un geste prophétique peut-être. Poétique assurément.
2046. De Wong kar-wai. Avec : Tony Leung Chiu-wai, Gong Li, Takuya Kimura, Zhang Ziyi, Maggie Cheung… Durée : 2h09. Ressortie en 4K, à partir du 18 décembre.
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