L’univers ciné Marvel est désormais un multivers de space opera peuplé de clones numériques où rien n’est en danger. C’est normal, mais ce n’est pas très palpitant.
Si les noms de Michael Waldron et Jeff Loveness vous disent quelque chose, c’est que vous aimez suffisamment les films Marvel les plus récents pour faire attention aux noms crédités dans la catégorie "scénario" de leurs génériques. Le premier a signé Doctor Strange and the Multiverse of Madness, et le second Ant-Man et la Guêpe : Quantumania. Dans le futur, le premier écrira Avengers : Secret Wars, qui sortira en mai 2026, et le second Avengers : The Kang Dynasty, qui sortira un an avant (tout le monde suit ?). Soit les deux parties de la fin de la Phase Six du Marvel Cinematic Universe, le double feature ultime qui doit rassembler tous les superhéros du catalogue ciné Disney/Marvel dans une grande bataille cosmique. Entre-temps, il y aura évidemment d’autres films écrits par d’autres scénaristes : en 2023, un troisième Gardiens de la Galaxie et The Marvels avec Brie Larson, quatre films en 2024 (Captain America : New World Order, Thunderbolts, Blade, Deadpool 3) et enfin Les 4 Fantastiques en 2025 avant la grande doublette Avengers.
Ant-Man 3 : un super Kang, et puis c’est tout [critique]Donc, Waldron et Loveness sont aux manettes de la structure globale des Phases Cinq et Six, du story arc qui va diriger le MCU vers sa fin -une fin toujours provisoire, en sachant qu’une suite de Shang-Chi et un nouvel Iron Man sont aussi au programme dans l’avenir. Ce story arc doit mettre en scène Kang (Jonathan Majors), super-méchant présenté en grande pompe dans Ant-Man et la Guêpe : Quantumania. Avant peut-être de faire intervenir dans Secret Wars le Beyonder, être surpuissant et omniscient qui avait organisé dans les comics un grand battle royale de superhéros dans les années 80 (dans le crossover nommé Secret Wars), lorsque Marvel était un peu à court d’idées. Des idées, ça tombe bien, Waldron et Lovegreen en ont plein : ils sont surtout connus pour leur travail sur la série animée Rick et Morty… et c’est peut-être là que ça coince.
Attention, spoiler si vous n’avez pas vu Ant-Man et la Guêpe : Quantumania
Car le MCU ressemble de plus en plus à une nouvelle saison de Rick et Morty. On retrouve cette obsession pour les univers parallèles, pour les clones, les copies -et par-dessus pour la vision de la pop culture comme d’un univers en soi, un terrain de jeu et de fiction à explorer en long, en large et en travers, à ne pas hésiter à maltraiter. Ne plus créer, mais réinvestir. Dans Doctor Strange 2, le héros va jusqu’à posséder le cadavre d’un de ses clones lors de la bataille finale. Dans Ant-Man 3, la mort de Kang n’est que provisoire puisque la scène post-générique nous montre une horde de Kang venus de pleins d’univers différents et prêts à en découdre. Ça, c’est la touche Rick et Morty, à 100% : les deux compères de la série créée par Dan Harmon passaient leur temps à jongler entre les univers et à affronter leurs doubles plus ou moins maléfiques, tout en revisitant les histoires les plus iconiques de la SF, de La Planète des singes à Jurassic Park en passant par Mad Max et Retour vers le futur (dont Rick et Morty est essentiellement une parodie, rappelons-le).
Même la scène de l’assemblée des dieux d’Omnipotence City dans Thor : Love and Thunder semble tout droit sortie d’un épisode de Rick et Morty. Et n’oublions pas la grosse attraction de Spider-Man : No Way Home, l’irruption des deux précédents Spidey (Andrew Garfield, Tobey Maguire) surgis des autres films -qui sont alors vus comme des univers parallèles. Mais ce qui fonctionne dans une série au format court ne fonctionne pas forcément dans les grands blockbusters de plus de deux heures, pensés comme des épisodes du MCU mais d’abord comme des films plutôt indépendants. Par exemple, comme les deux premiers Ant-Man, petits films de superhéros sans prétention et bien rigolos. Des sept films de la Phase Quatre, sous-titrée The Multiverse Saga, ce n’est pas une surprise si le meilleur à notre avis reste Black Panther : Wakanda Forever, qui ne parle pas absolument pas de multivers ou de clones.
S’inspirer de Rick et Morty pour dynamiser le MCU est donc une évidence, et ça ne s’arrête pas au cinéma puisque Waldron a aussi conçu la série télé Loki (sur Disney+) où Tom Hiddleston est embauché par une agence, le Tribunal des Variations Anachroniques, pour naviguer dans le multivers et "préserver le flux temporel", un truc autorisant de revisiter toute la fiction à la sauce Marvel -ou plutôt, à la sauce Rick et Morty : la parodie devient le référent, le nexus autour duquel tout gravite et tout se résume. Les morts ne sont pas vraiment morts : le mutlivers renferme une infinité de clones prêts à les remplacer, ou alors ils vont au Valhalla avec les autres comme Jane Foster dans la scène post-générique de Thor 4. Rien ne fait plus vraiment évènement : les Illuminati de Doctor Strange 2 -dont Red Richards des Quatre fantastiques- sont une bande de guignols exterminés en cinq minutes par la Sorcière rouge. Comme dans un épisode de… Bref, vous avez compris le topo : avec la formule magique Rick et Morty, le MCU pense avoir trouvé comment embrasser complètement son côté méta, en traitant sa propre culture comme un grand parc d’attractions. Tiens donc.
On en revient à Scorsese : quand il avait comparé, au détour d’une interview à Empire, les films Marvel à des parcs d’attraction ("theme parks"), les fans s’étaient sentis agressés. Dans une lettre au New York Times, le réalisateur de Taxi Driver et Casino avait développé son idée. "Les films Marvel comprennent de nombreux éléments qui définissent le cinéma tel que je le connais. Ce qu’ils n’ont pas, par contre, c’est de la surprise, du mystère, ou de l’authentique danger. Il n’y a rien de risqué, et rien n’est en danger", écrit Scorsese. "Les films sont faits pour satisfaire des besoins très spécifiques, car ils sont conçus comme des variations sur un nombre de thèmes très limités. Ce sont officiellement des suites, mais en réalité ce sont des remakes, tout y est officiellement approuvé car il ne peut en être autrement. C’est la nature des franchises modernes : conçus à partir d’études de marché, testées auprès d’un public, corrigées, modifiées, recorrigées et remodifiées jusqu’à ce que qu’elles soient prêtes à la consommation."
Quelle que soit votre opinion sur les films Marvel, que la rédaction de Première met régulièrement en couverture, et tente de traiter proportionnellement à l’intérêt qu’ils suscitent auprès du public, il est difficile de ne pas admettre que le Marvel Cinematic Universe, en choisissant de mettre son destin dans les mains des scénaristes de Rick et Morty, est devenu définitivement comme dans un parc d’attractions, où "rien n’est en danger".
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