Le passage de l’acteur de Dix pour Cent derrière la caméra partage la rédaction.
POUR. Et si finalement la plus belle preuve de réussite du premier long de Nicolas Maury se trouvait dans ce pour/contre ? Dans cette impossibilité à obtenir un consensus devant une œuvre qui précisément le fuit et par là même séduit autant qu’elle peut agacer. Celui que Dix pour cent a propulsé sur le devant de la scène passe derrière la caméra avec un film éminemment personnel (il se déroule pour partie dans le Limousin qui l’a vu naître) et pourtant pas autobiographique. Une manière de se mettre à nu de manière aussi profonde que ludique, en multipliant les idées de mise en scène et en traduisant par celles-ci le drame intime vécu par son personnage central (qu’il incarne lui-même) à un moment où tout, dans son existence, prend l’eau –la relation avec son amoureux qui se délite, son père qui vient de se suicider, ce métier d’acteur où il peine à exister –et où il va tenter de se réparer auprès de sa mère. Nicolas Maury n’a pas peur des sentiments, de souffler le chaud et le froid entre grands moments de comédie (une scène géniale face à Laure Calamy, irrésistible en réalisatrice bien secouée) et situations déchirantes (face à cette mère, admirablement campée par Nathalie Baye). Garçon chiffon n’a rien d’un robinet d’eau tiède. Certains le taxent d’égocentrisme. Comme s’il cherchait à rendre à tout prix aimable son personnage. Comme si le regard passionné que le Maury cinéaste porte sur ses acteurs (symbolisé par les ultimes scènes offertes à Florence Giorgetti, grande dame du théâtre, emportée peu après par la maladie) ne battait pas en brèche cette facilité de langage dès lors qu’un réalisateur joue un rôle inspiré par sa vie. Comme si le narcissisme était un critère pour juger une œuvre : dans ce cas, le cinéma de Dolan serait réduit en charpies. Non, l’essentiel est ailleurs. Dans ce besoin viscéral de passer derrière la caméra qui traverse l’écran.
Thierry Cheze
CONTRE. Il y a deux Nicolas Maury dans Garçon chiffon. L’acteur est doué et occupe une place à part dans le cinéma français où il a imposé sa singularité. Il joue à merveille de sa voix chantante et de sa démarche hésitante d’homme-enfant. Il compose un personnage complètement décalé et fortement névrosé. Cela fait d’ailleurs presque une dizaine d’années qu’il le module de rôle en rôle. Le summum étant le très réussi Let my people go ! de Michael Buch et le plus populaire étant sa variation « assistant » pour la série à succès, Dix pour cent. Le réalisateur, lui, fait ses premiers pas derrière la caméra et force est de constater qu’il ne réussit pas totalement son coup. Il a construit autour de son double de cinéma (un acteur sans emploi et jaloux) une quête initiatique qui passe par les rencontres farfelues et sans espoir, les amours déçues et le retour à la mère. Le problème est que, dans cette histoire, il n’y a que lui qui l’intéresse. À l’inverse d’un Woody Allen, dont il espère se rapprocher, Nicolas Maury néglige ses partenaires pour se concentrer sur sa propre réaction à leur discours. C’est assez frappant avec Jean-Marc Barr (en réalisateur versatile) dont on aperçoit le visage qu’une dizaine de secondes. C’est frustrant avec Nathalie Baye, dont le personnage de mère aimante occupe la dernière partie du film, sans pour autant réussir à exister. On regrette aussi que Nicolas Maury, aidé de Sophie Fillières au scénario, ait privilégié une histoire comico-tendre à une option plus burlesque. En conséquence, le spectateur, entre deux eaux, finit par trouver le temps long. Il est vrai qu’avec son heure cinquante, ce Garçon chiffon outrepasse la règle de Billy Wilder sur la durée des comédies : « Au-delà d’1 h 30, les minutes comptent double », avait coutume de dire le réalisateur de La Garçonnière. Il n’y a rien de plus vrai.
Sophie Benamon
Garçon chiffon, en salles le 28 octobre 2020
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