All we imagine as light
Condor Distribution

La cinéaste indienne Payal Kapadia de 38 ans présente en compétition sa première fiction autour de deux femmes en quête d’amour. Une réussite.

Être une femme indépendante, une cinéaste engagée et donc une voix dissidente. Payal Kapadia, 38 ans, représente peut-être un bonne partie de ce que le régime nationaliste de Narendra Modi en place en Inde depuis dix ans, ne veut pas voir, ni entendre. Son film All We Imagine As Light – assurément le plus beau titre toutes sélections confondues de ce cru 2024 – arrive en compétition brisant trente ans d’absence du cinéma indien sur les prestigieuses marches rouges. Alors forcément ça se voit encore mieux.

Son film suit l’itinéraire de deux infirmières d’un hôpital de Mumbai qui partagent un petit appartement dans la mégapole. L’une, mariée, n’a pas vu son conjoint depuis belles lurettes et s’interdit, de fait, une nouvelle histoire d’amour et ce malgré les appels du pied d’un chirurgien. L’autre, plus jeune, essaye de vivre sa passion avec son fiancé d’origine musulmane, ce qui, on le comprend très vite, condamnent les amants à une forme de clandestinité.

Autour de ces êtres, il y a le cœur de la ville qui bat trop vite et empêche de respirer. Il leur faudra, l’une et l’autre, partir vers la mer, dans un espace plus serein pour faire le point et enfin formuler leurs désirs. Car si "la ville sert à oublier les peines de cœur", elle peut aussi noyer les sentiments et assécher les êtres.

All We Imagine As Light de Payal Kapadia (2024)
Condor Distribution

Payal Kapadia avait été repérée en 2021 pour son documentaire, Toute une nuit sans savoir, récompensé de L’œil d’or à Cannes, lettre d’amour au cinéma, à l’être aimé et à un pays en proie à des violences idéologiques. La part documentaire qui ouvre ce All We Imagine As Light raccorde directement avec ce précédent film. La caméra saisit des vues de Mumbai sur lesquelles se superposent en voix-off les témoignages d’anonymes. Il en résulte une approche sensible et intime de l’espace. L’arrivée progressive des deux héroïnes se fond dans un cadre déjà chargé d’électricité.

Là où certains cinéastes imposent aux spectateurs leurs personnages, leurs histoires et les émotions qui vont avec, Payal Kapadia choisit la voie de la douceur et de la révélation à bas bruit. Ce qui n'empêche pas de taper fort. Elle prend le pari du sensoriel pour toucher à l’indicible et à la poésie des êtres. Dès lors, le rêve peut se confondre avec le réel, à l’image de cette sublime séquence d'un onirisme fragile où l’une des héroïnes réveille son mari absent : "Dans l’obscurité j’essayais d’imaginer la lumière, c’est impossible, je pensais à toi." Dans le dernier plan final d’une simplicité déconcertante, la cinéaste parvient à réunir les êtres sans briser leur indépendance. Chacun porteur de sa vision d’un avenir possible. C'est cette lumière qui nous recherchons tous.

De Payal Kapadia. Avec : Kani Kusruti, Divya Prabha.... Durée : 1h54. Sortie le 2 octobre