Becoming Karl Lagerfeld
Disney

Il fallait un acteur allemand de classe mondiale pour jouer la plus française des icônes allemandes. Daniel Brühl se glisse sous le catogan avec élégance, pour donner vie à Karl, avant Lagerfeld, et raconter sa passion méconnue avec Jacques de Bascher. Tout ça dans un Français méticuleusement travaillé pour l’occasion. Interview dans la langue de Molière.

PREMIÈRE : Kark Lagerfeld est mort il y a 5 ans. Que représentait-il pour les Allemands ?
Daniel Brühl
: C'est évidemment une icône pour nous. Certains lui ont reproché d'avoir été de l'autre côté de la frontière, mais surtout, on est très fier de cet homme qui a réussi à devenir une star mondiale, qui a réussi à changer la mode en profondeur. Il savait très bien comment parler avec les journalistes et se présenter dans les shows allemands. Il était du nord de l'Allemagne (Hambourg, NDLR) comme moi qui suis de Cologne. On a un vrai sens de l'humour dans le nord de l'Allemagne, pas comme dans le reste du pays où les gens ne sont pas drôles (rires). Non, en vrai, il savait très bien manier l'ironie et vendre le personnage qu'il avait créé. Ce qui est intéressant, c'est de voir qui il était avant ça et c'est justement le but de la série.

Vous l'aviez rencontré une fois ?
Oui, il y a 15 ans, durant la Berlinale, il avait pris en photo la nouvelle génération d'acteurs et actrices venus d'Allemagne, pour la couverture d'un magazine. Chacun voulait avoir une bonne place sur cette couverture alors ça se bousculait sur cette petite plateforme. On était comme des saucisses allemandes. Moi, j'étais trop cool et fier. Je trouvais que ça manquait de dignité. Alors j'ai voulu m'en aller et il m'a fait un petit sourire, comme pour me dire qu'il comprenait que je refuse ce cirque. Après, on a fait des photos seuls lui et moi. J'étais un peu nerveux, mais il racontait des blagues, plein d'anecdotes et au bout de 5 minutes, j'avais déjà le sentiment de le connaître. Mais en même temps, on voyait qu'il mettait de la distance et qu'il était dans la peau d'un personnage, caché derrière ce catogan et ces lunettes.

Becoming Karl Lagerfeld
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Vous aimez le monde de la mode à titre personnel ?
Oui j'aime ça. Je ne suis pas abonné à dix magazines de mode, mais dans mon travail d'acteur, la mode est importante. Il faut savoir se présenter de belle manière et donc on noue forcément des relations avec ce milieu, parfois même avec des créateurs de mode.

Comment est-ce que vous avez capté l'essence de Karl Lagerfeld ?
J'ai surtout voulu montrer sa fièvre, cette faim de conquérir. Il avait du courage, parce qu'il venait de l'extérieur. C'était un Allemand homosexuel dans le Paris des années 1970. Ce n'était pas facile pour lui de trouver sa place et d'avoir du succès. Il avait cette volonté de rafraîchir le monde établi de la mode et il a usé d'une énergie formidable et d'une discipline de fer pour y arriver. Après, ce n'était pas un homme simple à comprendre. Il aimait la mode autant que la peinture, la photographie, l'architecture ou la littérature. Alors lorsque je me suis installé à Paris pour le tournage, j'ai voulu m'imprégner de tout ça. J'ai essayé de vivre à la manière de Karl vivait à l'époque. J'ai essayé de me nourrir de ça. Maintenant, je n'ai pas fait du "method acting". Je ne fais pas ça. Mais je trouvais important de prendre le temps de trouver le ton, l'allure. J'ai demandé à avoir des talons pour aller marcher dans les rues de Paris ou dans mon appartement, pour apprendre sa posture. Et puis je me suis longuement entraîné à parler en Français, seul face à moi-même. Les moutons qui vivent chez moi, à Majorque (Espagne), où j'habite dans les montagnes, ont été les premiers témoins de mon Français et de mon Karl (rires). Je n'oublierai jamais leurs têtes quand je leur parlais Français !

Vous avez eu du mal à tourner en Français uniquement ?
Mon cerveau était cuit, chaque soir, à la fin du tournage. Je prenais ma douche dans mon appartement à Saint-Germain-des-Prés, la couleur des cheveux de Karl s'effaçait. Ma couleur brune naturelle réapparaissait et devant le miroir, je me mettais à parler en allemand avec mon accent de Cologne. Comme une manière de revenir à moi-même. Mais en même temps, j'ai dit oui à la série parce qu'elle était en Français, et filmée à Paris. Karl était plutôt Français qu'Allemand finalement. Paris était sa maison. Je n'aurais pas fait une série sur Karl Lagerfeld en Anglais ou en Allemand.

Becoming Karl Lagerfeld
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Vous avez eu peur de la caricature ?
C'est évidemment le grand danger dans un biopic. Celui de rentrer dans une dynamique de copie. Il ne faut pas perdre la joie et la liberté de créer quelque chose de personnel. J'ai trouvé mon Karl en priorité. On se rencontre peut-être à mi-chemin : 50% lui, 50% moi... J'ai sorti du personnage ce qui me semblait essentiel pour devenir une version de Karl. Et après, j'ai fait l'impasse sur toutes les images de lui. Je ne voulais pas les voir. J'ai demandé à la production d'enlever toutes les photos de lui qui étaient accrochées sur le plateau et qui servaient de référence aux costumes ou au maquillage. Je ne voulais pas voir les photos du vrai Karl Lagerfeld, parce que désormais, c'était moi Karl. Parce que Karl Lagerfeld est très loin de moi en vrai, on ne partage pas beaucoup de choses, si ce n’est ce besoin d'être reconnu dans son travail, ce désir d'être aimé et respecté. En tant que comédien, je connais ça.

Vous tournez en Français, en Allemand, en Anglais... Vous vous définissez comme un acteur international ?
Comme un acteur Européen. Aux Etats-Unis, je me sens très Européen, parce qu'il y a des rôles que je ne me sens pas de faire. David Bowie disait qu'il fallait savoir sortir juste un peu de sa zone de confort. On sent à l’instinct ce qu’on peut jouer ou pas. Perso, je ne pourrais pas jouer un cowboy du Texas. Je me sens trop Européen, pour ça.

Vous avez envie de tourner à Hollywood le plus souvent possible ?
Pas nécessairement. Je ne suis pas obsédé par ça. Je suis excité par plein de projets différents. Celui de Ruben Östlund, The Entertainment System is Down, m'excite particulièrement. On commencera à tourner l'année prochaine. C'est l’un de mes réalisateurs préférés. On s'est connu à Cannes, et maintenant on se voit beaucoup, on parle de cinéma, c'est passionnant. Il fait un cinéma courageux et c'est ce que j'aime : le cinéma qui ose des choses. Sinon je m'ennuis.

Becoming Karl Lagerfeld, actuellement sur Disney Plus.