Malgré le talent de ses jeunes interprètes, son nouveau passage par la compétition, précédée d’un parfum de polémique peine à convaincre pleinement.
L’attente était forcément grande devant Le Retour de Catherine Corsini, à nouveau en compétition à Cannes deux ans seulement après La Fracture. Et pas forcément pour les bonnes raisons, la polémique ayant entouré sa sélection (oui et puis non et puis finalement oui) et les raisons de cette valse-hésitation à trois temps (des controverses liées à ce qui a pu se produire sur le tournage avec des comédies mineurs et des rumeurs d'agressions sexuelles de la part de deux membres de l'équipe que réfute en bloc la réalisatrice) ayant forcément déplacé le centre d’intérêt que certains allaient porter au film. Le film justement allait-il être plus fort que tout cela et tout balayer sur son passage ? Quelques heures de recul plus tard, on a surtout le sentiment que dans l’implacable machine à dévorer les films qu’est Cannes, on est déjà passé à autre chose. Et cela, on le doit forcément au film en lui-même, trop inégal pour que s’affrontent des jours durant comme dans le Mektoub my love de Kechiche, fans absolus et détracteurs enragés.
Catherine Corsini dément avoir tourné des scènes de sexe avec des mineursCatherine Corsini y met en scène Khédidja, une quadragénaire noire engagées par une famille parisienne aisée (Denis Podalydès et Virginie Ledoyen) pour s'occuper des enfants le temps d’un été en Corse. Une île où elle n’est plus revenue depuis 15 ans et la mort du père de ses deux filles Jessica et Farah – qui l’accompagnent -, peu après leur naissance. Et plusieurs films cohabitent à l’intérieur de ce récit. Le plus réussi est la coming of age story, le temps des premières expériences amoureuses – homo comme hétéro – de ses deux jeunes héroïnes. Sans renouveler le genre, l’énergie qui insufflent les deux impressionnantes révélations Suzy Bemba et Esther Gohourou – auxquelles il faut adjoindre la non moins rayonnante Lomane de Dietrich dans le rôle de la fille du couple de bourgeois dont tombe amoureuse Jessica – traverse l’écran, confirmant le talent de découvreuse de Corsini (Aïssatou Diallo Sagna qui incarne leur mère, aide-soignante dans la "vraie" vie avait reçu un César pour son tout premier rôle au cinéma dans La Fracture) et son sens de la direction d’acteurs.
Mais si les comédiennes épatent à ce point, c’est aussi parce qu’elles parviennent à transcender le côté trop archétypal de leurs personnages, la bonne élève en route pour Sciences Po et la cancre, pour résumer à grands traits. Et ce gros souci d’écriture plombe les deux autres dimensions du film. La chronique familiale avec le passé qui ressurgit autour des circonstances de la mort du père. Et la chronique sociétale où il est question de honte de classe, d’une satire de la bourgeoisie "gauche caviar" satirisés et du regard pas toujours accueillant porté sur de jeunes femmes noires sur le continent Corse. Mais tout est ici trop souligné, trop velléitaire dans sa volonté de faire passer des messages pour que ça fonctionne, donnant plus souvent qu’à son tour le sentiment – évidemment involontaire – d’enfoncer des portes grandes ouvertes. Et souffre de la concurrence directe avec une autre chronique estivale corse, I Comete de Pascal Tognati, sorti voilà pile un an, où ces thématiques étaient embrassées avec une acuité bien supérieure et une recherche formelle poussée venant à chaque instant titiller et percuter un apparent naturalisme. Tout ce dont ce Retour manque.
De Catherine Corsini. Avec Suzy Bemba, Esther Gohourou, Aïssatou Diallo Sagna … Durée : 1h46. Sortie le 12 juillet 2023
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