Avant de faire l’unanimité à Cannes, The Artist était le projet le plus casse gueule que le cinéma français avait entrepris depuis longtemps… À l’heure où Jean Dujardin triomphe et savoure son prix d’interprétation masculine, retour sur un pari complètement fou et un film qui laisse… sans voix.Par Mathieu Carratier Première : Après Le bruit des glaçons et Un balcon sur la mer, tu lances en quelque sorte un nouveau défi à ton public avec The Artist, un film muet en noir et blanc où tu retrouves ton metteur en scène des OSS 117, Michel Hazanavicius.Jean Dujardin : Quand tu entends parler d’une idée comme celle-ci, tu ne peux pas résister. Bon, je ne vais pas te mentir : j’ai quand même eu peur à un moment. J’ai appelé Michel un matin en lui avouant que j’avais des doutes… Je ne sais toujours pas comment j’ai pu lui faire ça alors que j’avais dit oui et qu’il avait écrit le film en pensant à moi. Je lui ai déclenché un herpès en une minute. Le lendemain il m’a demandé : « mais qu’est-ce qui se passe ? Tu es fou ? C’est avec toi qu’il faut le faire. » Et je m’excusais deux heures après… Je m’étais mis à penser comme un autre : refuser ce projet serait allé à l’encontre de tout ce que j’ai fait et dit jusqu’à maintenant. Mais c’est très dur de préparer un film muet, tu ne peux t’appuyer sur rien. D’habitude, tu as un texte, et un texte, c’est concret. Là, tu as les mains attachées dans le dos. (Il bouge les lèvres sans émettre de son) Tu te retrouves à faire le poisson rouge, et tu attends le premier jour de tournage en te disant que c’est ton corps qui va parler.Tu penses que le public est prêt ?On me demande souvent « mais c’est muet-muet ? Il n’y a vraiment pas un mot ? » Comme si les gens avaient peur de voir un film sans parole. En gros, ce que la question sous entend, c’est « mais on va se faire chier, non ? ». On oublie que le cinéma est d’abord un métier d’image. Tu pourrais gommer la moitié des dialogues de la plupart des scénarios, et ça ne changerait rien. Prends The Party, par exemple : en fait, c’est un film muet.Vous avez eu du mal à monter The Artist ?On s’est vraiment demandé jusqu’au bout si on allait pouvoir faire le film qui, en plus, n’est pas une comédie mais une pure histoire d’amour (entre un acteur de muet ringardisé par l’arrivée du parlant et une jeune actrice en pleine ascension incarnée par Bérénice Bejo). C’est là qu’il faut saluer le dernier Nabab, Thomas Langmann. Seul un dingue comme lui, quelqu’un qui a besoin de faire son cinéma, pouvait le produire. Parce qu’il aime les artistes, qu’il aime Michel et était prêt à lui laisser les clés de la baraque. Il aurait très bien pu attendre un autre projet plus sûr mais non, il y va. Il monte un film muet en noir et blanc.Bande-annonce de The Artist :L'interview complète de Jean Dujardin est dans le nouveau numéro du magazine Première.