En 2010, Kathryn Bigelow est rentrée dans l'histoire du cinéma en devenant la première femme à remporter l'Oscar de la meilleure réalisation pour Démineurs, son thriller tendu sur une équipe de déminage en Irak qui avait raflé six statuettes. La réalisatrice peut-elle réitérer l'exploit cette année avec Zero Dark Thirty ? Tous les éléments sont à nouveaux réunis pour que son film sur la traque de Ben Laden opère un hold up sur la cérémonie.Une histoire vraieZero Dark Thirty raconte sur 2h30 la recherche du cerveau des attentats du 11 septembre qui a mobilisé les services de renseignement américains et trois administrations sur une décennie. Co-écrit avec Mark Boal (ancien reporter de guerre), le scénario est le fruit d'une minutieuse enquête nourrie de nombreuses sources si bien informées que la production a déclenché différentes polémiques à Washington où des responsables républicains ont accusé l'administration Obama d'avoir dévoilé des documents top secrets à la cinéaste et son scénariste. Si à aucun moment les mots "tiré d'une histoire vraie" n'apparaissent à l'écran, ils auraient rarement eu autant de sens. L'ambition documentaire de Zero Dark Thirty l'emporte sur l'idée de cinéma qui se met ici au service des faits pour procurer une sensation saisissante de réalisme. Qui risque de faire son effet sur les membres de l'Académie. Ceux-ci auront également à juger Argo, concurrent sérieux car reposant sur les mêmes caractéristiques : le film de Ben Affleck est également tiré d'une histoire vraie et évoque un autre trauma de l'Amérique, celui de la prise d'otage de l'ambassade de Téhéran pendant la révolution iranienne. L'histoire de l'Amérique contemporaineMais une des forces du film de Bigelow est son actualité. Centré sur le personnage de Jessica Chastain, l'analyste de la CIA dont le rôle fut déterminant dans la recherche de Ben Laden, le récit est au fond celui de l'obsession américaine de réparer l'outrage fait à la nation le 11 septembre 2001. Elle incarne et catalyse le sentiment d'impuissance, le désir de vengeance et enfin la victoire sur l'ennemi qui ont habité l'inconscient collectif des Etats-Unis ces dix dernières années. A la manière de ce que Spielberg a fait dans son Lincoln, qui s'intéresse plus à ce que signifie être un démocrate aujourd'hui qu'à la vie du 16e président américain, Bigelow ne raconte pas tant une histoire que l'Histoire de l'Amérique contemporaine. Sans éluder les erreurs qui ont jalonné cette traque et les questions morales posées par les méthodes employées, Zero Dark Thirty n'est jamais moraliste ; le film met l'Amérique face à ses contradictions et ses faiblesses tout en se permettant l'élan patriotique syndicale dans la dernière demie-heure, qui reconstitue quasi minute par minute le raid qui aboutit à la mort du chef d'Al Quaida. Après deux heures de dialogues techniques entre analystes de la CIA, l'assaut final fournit la dose d'action - impressionnante - nécessaire à la satisfaction du public.Malgré les polémiques qui ont entouré la production et la sensibilité du sujet, le propos de Bigelow n'est jamais partisan. Si sa nature politique est un de ses arguments majeurs pour rafler des Oscars - Hollywood aime distinguer les œuvres engagées -, le film se garde bien de prendre position en ne rentrant jamais dans le bureau ovale et en inscrivant son récit sur la durée : la victoire finale est le fruit de dix ans du travail acharné de plusieurs administrations, elle est celle d'une nation et non d'un homme ou d'un parti. Après une année électorale marquée par les divisions et les guerres partisanes, le potentiel rassembleur autour du drapeau de Zero Dark Thirty ne doit pas être sous-estimé.Les premiers prixMais, en plus de sa dimension historique et cathartique liée à la nature du sujet, le film de Kathryn Bigelow est aussi et surtout un long métrage puissant qui joue sans relâche sur une tension dramatique portée par un casting au sommet. La prestation de Jessica Chastain est unanimement saluée, appuyée par quelques têtes connues (Mark Strong, Jason Clarke, Kyle Chandler, James Gandolfini...) ou inconnues toutes d'une justesse égale. Atouts qui ont déjà largement convaincu la critique. Après l'association américaine de critiques de cinéma qui lui a décerné les prix de meilleur film et meilleur réalisateur, le National Board of Review vient de triplement distinguer le film de Bigelow : meilleur film, meilleur réalisatrice, et meilleure actrice pour Jessica Chastain. Même si ces prix ne préjugent pas des choix de l'Académie (le NBR avait choisi Hugo Cabret en 2011 mais c'est The Artist qui avait raflé les statuettes dorées), ils placent de fait Zero Dark Thirty en position de leader de la campagne des Oscars.Vanina Arrighi de Casanova
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Après Démineurs, Kathryn Bigelow va-t-elle rafler les Oscars avec Zero Dark Thirty ?
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