Cannes 2024 : l'ambition folle de Kevin Costner avec Horizon
Warner Bros./Abaca

Sa première partie à peine bouclée, et sélectionnée hors-compétition, le cinéaste américain rêve de présenter sa suite à la Mostra de Venise.

Après les projections tant attendues de Furiosa : une saga Mad Max, de George Miller, et de Megalopolis, de Francis Ford Coppola, l'événement du week-end à Cannes sera certainement Horizon, de Kevin Costner,, prévue en ce dimanche soir.

Pas vraiment parce que ce western se déroulant sur quinze ans marque le retour de l'acteur-réalisateur sur la Croisette : de son propre aveu, il n'a "pas d'histoire cannoise". Interviewé longuement par Deadline début mai, il confessait :

"Je suis venu une fois, pour vendre Open Range (en 2003, ndlr), mais ce n'était même pas en compétition. Je ne suis jamais venu pour un film. On m'a invité une fois sur le tapis rouge pour découvrir l'un des Matrix, et c'était super. C'est en partie pour ça que j'ai accepté (d'y dévoiler Horizon cette année, ndlr), parce que je savais que ça m'aiderait à avoir des partenaires internationaux. Pour moi, c'était la bonne réalisation à présenter ainsi. J'aimerais bien revenir pour le troisième opus. Pour le n°2, j'adorerais le présenter à la Mostra de Venise, mais je ne sais pas si ce sera possible, si le premier volet est à Cannes ? Peut-être qu'ils ne voudront pas d'un film qui a commencé à être montré en août ? En tout cas, on prépare bien des n°3 et 4."

Kevin Costner à l'avant-première de Matrix Reloaded au festival de Cannes 2003
Abaca

Kevin Costner à l'avant-première de Matrix Reloaded au festival de Cannes 2003.

La (re)Conquête de l'Ouest

D'emblée, le cinéaste confirme à quel point son ambition est importante sur Horizon, la première réalisation en deux décennies du créateur de Danse avec les loups (1990), Postman (1997) et donc Open Range. Un nouveau projet qui n'a pas volé son sous titre de "saga américaine". Avec cette œuvre en quatre parties, dont deux déjà tournées -la première sortira le 28 juin aux Etats-Unis et le 3 juillet en France, sa suite le 16 août outre-Atlantique et le 21 novembre chez nous-, il compte rendre hommage à l'un des films qui a bercé son enfance : La Conquête de l'Ouest (1962).

Cette fresque historique a marqué son époque par sa distribution exceptionnelle : de John Wayne à James Stewart en passant par Debbie Reynolds et Gregory Peck, elle réunissait des comédiens incontournables du western, et ce devant la caméra de trois maîtres du genre : Henry Hathaway (Cent dollars pour un shérif), John Ford (La Prisonnière du désert) et George Marshall (Femme ou démon). Découpée en cinq parties, elle retraçait de grands pans de l'histoire américaine, en changeant d'époques et de lieux : Les Rivières (1839), Les Plaines (1861-1865), Le Chemin de fer (1968) et Les Hors-la-loi (1889).

On devrait retrouver le même esprit dans Horizon, qui suivra une poignée de personnages incarnés par des comédiens populaires : Kevin Costner lui-même, Sienna Miller, Sam Worthington, Jena Malone, Danny Huston, Giovanni Ribisi, Luke Wilson... L'action se déroulera sur plus d'une décennie, là aussi autour de la Guerre de Sécession.

Kevin Costner Horizon
Warner Bros.

Auto-financement 

Son créateur n'a pour l'instant filmé "que" ses deux premiers volets, effectuant leurs montages en simultané dans son ranch : "une salle pour le premier volet, une autre réservée au second, pendant que dans une troisième, un autre monteur concocte un making-of de l'ensemble du projet", précise Deadline, impressionné par ce dispositif hors-normes. Comptez bien sur lui pour mener sa saga jusqu'au bout : Costner a tenu à investir lui-même dans ses films pour les promouvoir en autonomie, avant de signer un accord de distribution avec la Warner Bros., qui lui a assuré une sortie au cinéma et non en streaming.

Le succès de Yellowstone aurait pu en décider autrement, mais c'est bien une œuvre de cinéma que Kevin Costner avait en tête, et il met tout en place pour que Horizon soit proposé en salles.

"Pour l'instant, je suis dans les temps, et je respecte le budget que je m'étais fixé à 98 millions d'euros, mais quand j'aurai fini le quatrième film, j'aurai dépassé la barre des 100 millions", précise-t-il au magazine américain.

Un procédé qui rappelle celui de Francis Ford Coppola pour Megalopolis, dans lequel le réalisateur du Parrain et d'Apocalypse Now a investi de sa poche 120 millions de dollars, afin de ne pas avoir de producteur influent pour modifier le film qu'il avait en tête. Il pouvait se le permettre, a-t-il rappelé en conférence de presse, grâce à son domaine viticole fondé dans les années 1980 :

"Dans les années 1980, pendant la crise financière, j'ai emprunté 20 millions de dollars pour créer un domaine viticole dans le style des jardins de Tivoli, un endroit pour la famille, pour que les enfants retrouvent leurs grands-parents au bord de la piscine, un grand complexe. J'ai créé quelque chose que tous les propriétaires de domaines viticoles essayent de refaire. Et je peux aujourd'hui m'appuyer dessus : j'en ai tiré de l'argent, donc je peux prendre des risques grâce à cela.

Et puis, mes enfants n'ont pas besoin d'une fortune. Roman et Sofia se construisent des carrières merveilleuses, ils n'ont pas besoin de rouler sur l'or. L'argent, ce n'est pas ce qui compte au final, ça s'évapore. Ce qui compte, ce sont les amis. Ca vaut pour nous tous, pour vous aussi."

Famille, politique, argent : La conférence de presse très personnelle de Francis Ford Coppola

"Il est couillu", commente Costner à propos de Coppola. Kevin, lui, n'a pas vendu de vin, mais des terres et il a hypothéqué une villa dont il est le propriétaire à Santa Barbara. Il détaille sa philosophie à ce propos :

"A un moment donné dans votre vie, vous réalisez que vous avez les moyens de le faire. D'accord, mes enfants n'hériteront peut-être pas d'une propriété de 10 hectares. Mais ils auront bien un toit, ils toucheront mon héritage. Ils pourront vivre leur vie. Je ne veux pas être retenu. On pourrait croire que ça tourne à l'obsession, mais au fond, c'est quelque chose qu'il (Francis Ford Coppola) voulait vraiment faire, et il ne blesse personne en réalisant cela. Il a trouvé le moyen d'aller au bout. Lui aussi il a expliqué tout cela à ses enfants.

Les miens savent clairement pourquoi je me suis lancé là-dedans. Ils m'ont dit : 'Papa, tu fais comme tu le sens. On n'a pas besoin de tout ça. On en a profité, mais on vivra sans.' C'est juste qu'ils ne veulent pas me voir trimer jusqu'à ma mort... Et puis, j'ai l'impression d'avoir fait un film pour le public aussi, ce n'est pas que pour moi. J'ai senti que c'était le bon moment dans ma carrière pour raconter cette histoire. C'est celle-ci qui m'attirait, c'était à mon tour de me lancer."

Kevin Costner Horizon
Warner Bros.

"Sans les femmes, il n'y avait pas d'Ouest"

Autre objectif qui ressort de cet entretien sans langue de bois : remettre les femmes au centre de l'histoire américaine. C'est d'ailleurs entouré d'actrices qu'il viendra monter les marches, ce soir.

"Comme je l'ai autofinancé et que je dois gérer seul toutes sortes de choses, ce choix me revenait aussi. Au départ, je pensais y aller seul avec Sienna (Miller). Puis j'y ai mieux réfléchi et je me suis dit que j'allais emmener avec moi toutes les femmes du film. J'ai envoyé un mail aux gars pour les prévenir : 'J'emmène les six filles à Cannes.' Parce que les femmes ne sont jamais assez célébrées. Et ça m'empêchait aussi de faire des choix trop arbitraires. Donc je serai entouré d'Ella Hunt, Sienna Miller, Abbey Lee, Isabelle Fuhrman et Wasé Chef (une comédienne native-américaine, ndlr)... Les autres, s'il s'avère qu'ils sont en Europe à ce moment-là, ok, je leur prendrai un ticket. Mais je ne suis pas un studio, encore une fois."

Ce sujet lui tient visiblement à coeur : il l'a également développé à la télévision française, sur Canal +. 

Non, Horizon n'est pas son Yellowstone

Kevin Costner profite de cette longue entrevue pour mettre les points sur les i concernant son départ de Yellowstone. Il assure alors haut et fort qu'il n'a pas fait Horizon en réponse à la série, dont il évoque au passage les nombreuses qualités.

"Je n'ai pas fait Horizon parce que j'en avais marre de tourner dans Yellowstone, affirme-t-il. C'est une grosse connerie. Je n'ai pas non plus fait Horizon pour être en compétition avec Yellowstone. C'est quelque chose que j'avais en moi de puis très, très longtemps."

Il explique d'ailleurs avoir fait lire son scénario, co-écrit avec John Baird, au créateur du show Taylor Sheridan. Sa brouille avec l'équipe est directement liée aux décisions du studio, assure-t-il.

Kevin Costner a très envie de revenir dans Yellowstone un jour !

Trouver la durée idéale

A propos de temps, Deadline l'interroge aussi sur la difficulté à trouver le bon rythme, et Kevin Costner avoue alors avoir beaucoup modifié sa première partie de Horizon

"Il faut bien que quelqu'un protège le film et cela passe par trouver son bon rythme, explique-t-il. En tout cas, on ne peut pas prendre de bonnes décisions quand on a peur. Vous pouvez croire que vous allez perdre votre public avec telle scène, mais que vous trouverez un moyen de les reconquérir... Je fais attention au rythme de mes films, cette question me tue, d'ailleurs. Ce n'est pas comme si je m'en foutais complètement de ce que pensent les gens. Je ne suis pas comme ça. D'abord, je fais attention à l'apparence de mon long métrage, puis je vérifie que je peux y mettre tout ce qui est possible.

J'ai montré de film dans une version de 3h15. La première en faisait précisément 3h52, et quand je l'ai finie, je ne voyais absolument pas comment réduire encore, même de 5 minutes. Ensuite, c'est tombé à 3h29, puis j'ai encore coupé pour arriver à 3h24, 3h15... Quand je l'ai montré à Las Vegas (à la CinemaCon, ndlr), le film durait 3h06. Je ne pensais pas le raccourcir davantage, pourtant, je suis ensuite passé sous la barre des 3h. Retombé à 2h50, et à présent à 2h45. Mais il manque quelque chose, je vais rajouter quelques plans."

La version qui sera montrée ce dimanche à Cannes durera précisément 3h01, nous a appris récemment son distributeur, la Warner Bros.

"Quand vous investissez votre propre argent comme je l'ai fait, comme Francis l'a fait, vous devez bien vous connaitre, ajoute-t-il à propos de découpage idéal de Horizon. En fait, on se bat avec nos propres moulins à vents (en VO, il parle d'"UFOs", objets volants non identifiés) : on voit quelque chose et on n'arrive pas à s'en défaire. Vous savez que mon premier montage de Danse avec les loups durait 5h30 ? C'est un boulot douloureux, et pourtant on y trouve du plaisir. D'abord, vous pensez que vous ne pourrez jamais y arriver, puis vous réalisez que si, vous êtes en train de le faire. Danse..., j'en ai retiré 2h30 car je voyais bien que ça ne fonctionnait pas aussi bien que ce que j'avais en tête. Mais là, Horizon est en train de ressembler à ce que j'imaginais. La durée du deuxième n'est pas encore arrêtée." Il ajoute, moqueur, envers le journaliste : "Il durera peut-être 2h45, votre durée idéale ?"

Danse avec les loups : retour sur le joli succès de Kevin Costner

Deux films, et ensuite ?

Fervent défendant des éditions physiques, Kevin Costner assure également au cours de cet entretien que pour lui "le marché du DVD n'est pas mort, absolument pas". Il laisse entendre qu'une fois que sa grosse machine Horizon aura commencé à être diffusée, il ne pourra qu'aller au bout.

"Je voulais débuter le tournage du troisième volet dès le 25 avril, mais il fallait que je trouve encore un peu d'argent, confie-t-il. Après, j'ai bloqué la date du 6 mai, et là aussi, il manquait du budget. J'ai reporté au 13 mai... mais vous savez quoi ? Je vais le faire ce film. Je m'en fous du reste, maintenant. Je vais m'y mettre, point."

Même si le public ne se rend pas en salles pour voir ses deux premières parties ? Costner rétorque :

"La réalité, c'est que ces deux films existent, peu importe vos habitudes de visionnage. Quoi qu'il arrive, j'en aurai les droits à vie. Vous voudriez avoir vos deux films à vous ? Pu***, oui ! Et tous les cinq ans, si j'en ai envie, je peux les ressortir dans le monde entier. Ou alors juste aux Etats-Unis. La différence, c'est que pour faire en sorte que ça m'appartienne, j'ai pris un risque. Pourquoi Las Vegas existe ? Parce que certaines personnes sont prêtes à perdre leur maison ! Pourquoi y a-t-il encore des studios de cinéma ? Parce que les films, ça continue à rapporter de l'argent bien après leur premier week-end en salles..."

Toujours à propos de son caractère obsessionnel, de son objectif visant à boucler ces quatre films quoi qu'il en coûte, Kevin Costner conclut en citant Moby Dick et son anti-héros, le capitaine Achab :

"J'étais trop jeune pour comprendre quand j'ai vu la version avec Gregory Peck, mais maintenant je saisis. (...) Le truc, c'est que la différence entre Achab et Francis ou moi... bien sûr qu'on a un peu de lui en nous, je ne le nie pas, mais notre obsession n'est pas telle qu'on va embarquer d'autres gens dans notre chute. Tout repose sur nos épaules, on a pu payer nos employés, tout va bien. Par contre, moi, je sais que je passerai les deux ou trois prochaines années sans toucher de salaire pour Horizon... C'est comme ça. Essayez pour voir, c'est un sentiment qui vaut le coup !"