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Requin avide de pouvoir, geek devenu patron d’une des sociétés les plus puissantes d’Hollywood, outsider bourrin qui s’impose, à grands coups de millions de dollars, comme l’esthète des blockbusters, argentier éclairé devenu le mécène de cinéastes nerds… Thomas Tull est une exception hollywoodienne et fascine par son parcours singulier. « Si quelqu’un venait me voir en me pitchant ma propre existence pour en tirer un film, avait admis Tull lors d’une interview télé, je lui répondrai : “Mais personne ne va y croire à ton histoire !” »Parti de rienAlors que le népotisme règne à Hollywood, Tull grandit totalement coupé de ce milieu très fermé. Élevé à Binghamton, pas loin de New York, par une mère seule et désargentée, il utilise l’argent de ses petits boulots pour se payer ses comics ou ses tickets de cinéma et décroche une bourse universitaire en tant que footballeur. Il sort diplômé en 1992 et se lance dans la finance et le développement de nouvelles technologies, comme la conception d’un DVD auto-destructible à destination du marché locatif. De tels projets le conduisent à rencontrer des professionnels de l’audiovisuel qui l’incitent à se lancer dans la production de films.L’homme qui valait 600 millions de dollarsAu début des années 2000, Thomas Tull  décide de faire une entrée en fanfare à Hollywood. Son plan : lever des fonds pour s’associer à une major en cofinançant des blockbusters. Au bout d’un an de démarches acharnées, Tull accomplit l’exploit de se constituer une enveloppe de 600 millions de dollars. Coup de chance : nous sommes alors en 2005 et Warner, qui traverse une passe difficile, voit l’arrivée de ces fonds comme un soutien providentiel pour ses productions maisons. La toute nouvelle compagnie de Tull, Legendary Pictures, peut ainsi entrer en coproduction à hauteur de 50% sur les titres les plus importants de Warner. Les débuts sont pourtant difficiles : Legendary et Warner connaissent de sévères déconvenues avec Lucas, fourmi malgré lui et La Jeune Fille de l’eau, tandis que les dispendieux Superman Returns et, dans une moindre mesure, Batman Begins ne rencontrent pas le triomphe escompté.Success StoryL’avenir de la société semble compromis, mais c’était compter sans le flair de Tull : contre l’avis général, il choisit de parier sur 300 de Zack Snyder, un péplum numérique qui rapporte près de 500 millions de dollars au box-office mondial. Tull applique dès lors une véritable politique des auteurs qui finit par payer : même si Batman Begins n’a pas atteint ses objectifs, il persiste à soutenir Nolan en produisant le triomphal Dark Knight, puis il décroche un nouveau succès surprise en finançant l’un de ses cinéastes fétiches, Todd Phillips, avec Very Bad Trip. Quelques échecs continuent à ralentir l’ascension de Legendary, mais Tull fait de nouveau preuve de clairvoyance (il fréquenterait incognito les comics books store pour sonder les opinions de la fan base) en refusant certains projets de Warner, comme Green Lantern. Le succès aidant, Tull tente dès lors d’accroître son indépendance. Il rachète des parts de Legendary pour en devenir l’actionnaire majoritaire et développe ses propres films. Grand fan de baseball (il avait tenté, sans succès, de rejoindre l’équipe des Atlanta Braves en 1995), Tull finance intégralement 42, biopic encore inédit en France sur le légendaire joueur Jackie Robinson réalisé par Brian Helgeland et interprété par Harrison Ford. Un nouveau succès pour Tull, puisque le film remporte plus de trois fois sa mise sur le territoire nord américain. Mais c’est surtout avec Pacific RimGodzilla (financés aux trois-quarts par Legendary) et Le Septième fils (financé intégralement par Tull) que la société impose sa marque. Un essor soutenu par une forte présence sur les réseaux sociaux et le développement de branches dans l’édition de comics et de jeux vidéo.Conflit d’intérêtsMais chez Warner, cette émancipation est mal vécue. Ainsi, les exécutifs fulminent en découvrant que Tull ose présenter les premières images de Pacific Rim devant une salle archi comble du ComicCon, aux côtés de Guillermo Del Toro. Il faut dire qu’au contraire des costumes-cravates des studios, Tull est en terrain connu au ComicCon : les étagères de son bureau à Legendary ploient sous les hordes de figurines collectors de ses films préférés. Chez Warner, on apprécie également très modérément les lauriers que les réalisateurs lui tressent dans les médias. Bryan Singer, qui fait perdre des millions de dollars à Legendary avec Jack, le chasseur de géants, affirme qu'il « a le point de vue d’un cinéaste, ce qui vous place tout de suite en position de confiance ». Tull confie même off-record que le boss de Warner, Jeff Robinov, méfiant de ses bons rapports avec Christoper Nolan, aurait monté ce dernier contre lui... Au printemps 2013, le divorce entre Legendary et Warner est effectif après 8 ans de collaboration et trente deux films produits en commun.Visions futuresAlors que Pacific Rim sort sur les écrans du monde entier, Thomas Tull renégocie un nouveau partenariat avec une major. C’est finalement Universal qui signe, attiré par la volonté de Legendary de s’imposer sur les marchés asiatiques (la société a signé un partenariat avec la compagnie China Film Co.), mais aussi des projets de films qui feraient de parfaits candidats pour l’exploitation dans les parcs d’attraction et le réseau NBC de la firme. L’avenir proche de Legendary est en effet prometteur, oscillant entre films d’auteurs reconnus (Cyber, le prochain Michael Mann avec Chris Hemsworth) et blockbusters dévolus à la culture pop. En dehors de 300 : Rise of an Empire, Legendary travaille activement sur l’adaptation de Warcraft (que mettra en scène Duncan Jones, réalisateur de Source Code), Crimson Peak (le prochain Del Toro), les adaptations de Mass Effect et Gears of War (le jeu vidéo préféré de Tull), Spectral (une version horrifique de SOS Fantômes), sans oublier les suites potentielles de Pacific Rim et Godzilla. Autant de projets dont les produits dérivés pourraient bien venir rejoindre les étagères déjà bien garnies de ce nouveau magnat d’Hollywood.Julien Dupuy