Première
par Thomas Baurez
Toute représentation implique un envers. Dans le spectacle dit vivant, la circulation entre la coulisse et la scène est dynamique, agissant perpétuellement en parfaite synchronicité, contrairement au cinéma, art du « déjà joué » où une cassure finit par s’établir. Il est émouvant qu’avec ce Grand Chariot, Philippe Garrel, ait choisi de raconter le quotidien d’une troupe de marionnettistes pour évoquer à la quasi première personne, son geste d’artiste. Formidable mise en abîme de l’acte de création pleinement dévoilé et révélé. Esther (en fait Martha dans la fiction), Lena et Louis Garrel - filles et fils du cinéaste - se tiennent ici derrière le petit théâtre du père (incarné par Aurélien Recoing) qui mène sa troupe avec une autorité sereine. Tout ici est fait artisanalement, home-made, perpétuant une tradition séculaire. De jeunes enfants composent un public enthousiaste, jusqu’au jour, où tout s’arrête en pleine représentation. Le père se meurt en coulisses, le jeu doit cesser et, avec lui, la magie du spectacle. Se pose alors pour la fratrie, la question de la poursuite du « métier », chacun y voyant - ou pas - une émancipation possible. « Je réalise que représenter sa famille est un plaisir habituellement réservé aux peintres. », écrit Philippe Garrel dans sa note d’intention du Grand Chariot. Cinéaste, marionnettiste, peintre, au fond c’est chez lui la même chose : la ronde des sentiments dessine une poésie de l’existence propre à son auteur. Une poésie à faussement douce, terriblement puissante. Le romantisme de Philippe Garrel est un fleuve qui trace sa route entre les rives du réel et du rêve. Art suprême du vivant.