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POUR
Avant de faire du cinéma – et en parallèle depuis – Sam Mendes est un homme de théâtre. Quiconque a eu le bonheur d’admirer Cabaret, La Chambre bleue, Richard III ou La Ménagerie de verre mis en scène par ses soins en garde un souvenir enthousiaste. Par sa capacité à donner à voir et entendre des classiques par un prisme toujours inventif. Mais aussi par la variété de ses goûts. Sur grand écran, la patte Mendes reste identique. Arpenter des terrains sans cesse différents. D’American Beauty à Away We Go en passant par Les Sentiers de la perdition, Jarhead et Les Noces rebelles, il n’a d’ailleurs vraiment failli que la fois où il a bégayé en enchaînant Spectre après Skyfall. Ce parti pris hérisse forcément ceux qui ne jugent un auteur qu’à l’aune de sa capacité à creuser toujours le même sillon. Et ce 1917 va libérer leur fiel. On y suit deux soldats britanniques assignés à une mission impossible dans l’enfer de la Première Guerre mondiale : apporter à un officier à des kilomètres de là un message qui pourrait empêcher une attaque meurtrière. Une course contre la montre derrière les lignes ennemies qui prend la forme (forcément pas tout à fait) d’un unique plan-séquence. Comme Iñárritu avec Birdman, Mendes a le sens du grand spectacle ludique. Et comme le Mexicain avec Emmanuel Lubezki, Mendes s’appuie sur un immense directeur de la photo – Roger Deakins – pour offrir aux spectateurs au-delà du suspense de son intrigue (la mission ira-t-elle à son terme et avec quels dégâts collatéraux ?) le plaisir espiègle de chercher les coutures de ce vrai-faux plan unique. Le tout ponctué d’un nombre incalculable de scènes saisissantes qui, chacune, justifient la découverte de 1917, à commencer par l’arrivée dans les tranchées. Au cinéma comme au théâtre, Mendes joue avec les codes. On lui a reproché, et on continuera de le faire, de n’être qu’un copycat. Mais comment ne pas admirer l’entertainer de grande classe ? Thierry Cheze
CONTRE
Bizarre, quand même, cette tendance de Sam Mendes de trouver l’inspiration en singeant les grands cinéastes à la mode. Après son Skyfall qui appliquait à James Bond le traitement dark des Batman de Nolan, le voici dans la roue de Cuarón et d’Iñárritu avec son film « en un plan-séquence » (ou presque). Le tout saupoudré de Dunkerque (la déconstruction « temporelle » du film de guerre), d’Il faut sauver le soldat Ryan (le discours humaniste et les personnages envoyés en mission-suicide) et des Sentiers de la gloire (les travellings dans les tranchées). Ce faisant, Mendes accrédite cette idée contemporaine un peu fatigante qui veut que le plan-séquence (envisagé comme un tour de force technique invraisemblable) est la seule et unique mesure de ce qui fait le « grand cinéma ». Non pas qu’on n’apprécie pas d’admirer un beau tracking shot virtuose de temps à autre, mais on aime surtout quand l’exercice est au service d’une vision du monde (comme chez les thuriféraires de Tarkovski qui pullulent aujourd’hui) ou d’une pure décharge d’énergie (comme chez les suiveurs de Scorsese qui pullulent depuis Les Affranchis). Dans 1917, le dispositif tourne à vide, et donne systématiquement l’impression d’oeuvrer à sa propre publicité. Pire : il oblige le spectateur à chercher le truc, l’artifice, la soudure façon La Corde, le détournant ainsi sans cesse du récit. C’est d’autant plus dommage que George MacKay se révèle un excellent leading man, que les péripéties sont franchement inventives, et certaines visions imaginées par le chef opérateur Roger Deakins proprement dantesques (le réveil du héros sous un ciel nocturne évoquant une antichambre des enfers). Mais on ne sent que trop ponctuellement vibrer ici la nécessité de raconter cette histoire, au-delà de l’envie manifeste de nous en mettre plein la vue. Frédéric Foubert