Focus sur la série avec Jesse Eisenberg et Claire Danes, comédie satirique auscultant le divorce d’un couple new-yorkais.
1/ C’est l’un des meilleurs rôles de Jesse Eisenberg
En version originale, Anatomie d’un divorce s’intitule Fleishman is in Trouble – soit Fleishman a des ennuis. Et Fleishman, c’est Jesse Eisenberg, qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles : il incarne un hépatologue new-yorkais qui, le temps d’un été caniculaire, réalise que son ex-femme, Rachel (Claire Danes), dont il vient de divorcer, a disparu dans la nature, lui laissant la responsabilité de leurs deux enfants. Eisenberg excelle dans une partition tragi-comique qui le voit naviguer entre panique existentielle aigue et humour absurde pince-sans-rire, et qui finit par ressembler à un véritable best-of de sa filmographie, marquée par les comédies de mœurs new-yorkaises (Café Society), la question du couple et de son délitement (Les Berkman se séparent) et l’amour au temps des réseaux sociaux (The Social Network). Comme une vaste reformulation de ses rôles passés et des grandes thématiques de son œuvre d’acteur.
2/ C’est une vision inédite de New York
Le premier plan d’Anatomie d’un divorce est une vision de New York à l’envers, caméra retournée sur son axe, avec le ciel en bas de l’écran et les gratte-ciel en haut. Une manière explicite de dire que la vie de Toby Fleishman est sens dessus dessous, mais aussi que la série va nous offrir une vison inédite de la ville : on découvre en effet au fil des huit épisodes le monde des new-yorkais ultra-privilégiés, celui des agents d’artistes workaholic et des dirigeants d’entreprises pharmaceutiques âpres au gain. Un univers où un brillant médecin comme Toby Fleishman, parce qu’il se soucie d’abord d’aider son prochain plutôt que d’ajouter un zéro à son salaire, passe presque pour un moins-que-rien… Anatomie d’un divorce révèle, avec une précision sociologique remarquable, l’articulation impossible entre les modèles traditionnels du couple et de la famille et la folle course au profit qu’exige désormais le mode de vie new-yorkais.
3 / C’est le portrait d’une génération
Au-delà du récit du divorce entre Toby et Rachel Fleishman, Anatomie d’un divorce dépeint l’amitié entre Toby et deux de ses vieux copains d’université, Libby et Seth, interprétés par Lizzy Caplan et Adam Brody. En parallèle de la chronique d’une histoire d’amour qui se fane, la série est donc aussi celle d’une amitié mise à l’épreuve du temps qui passe, des copains qui prennent des chemins différents, et de leurs cheveux qui blanchissent imperceptiblement. Le portrait dressé ici, c’est celui d’une génération qui avait 20 ans au début du siècle, à mi-chemin entre la génération X et les millenials, et incarnée par des acteurs qui ont justement éclos à l’écran dans les années 90 et au début des années 2000. Au fil de flashbacks, où les comédiens apparaissent rajeunis, surgissent ainsi des références à des classiques ciné de l’époque (Virgin Suicides, Magnolia…) qui renvoient les spectateurs à leurs propres souvenirs. On réalise au passage que les acteurs d’Angela, 15 ans (Claire Danes), Party Down, Bachelorette (Lizzy Caplan) ou Newport Beach (Adam Brody) font désormais partie de nos vies depuis longtemps.
4 / C’est un point de vue nouveau sur une veille histoire
Le décor new-yorkais renvoie inévitablement au cinéma de Woody Allen. Un exemplaire de Portnoy et son complexe, posé au pied du lit de Toby Fleishman, agit comme un clin d’œil à l’écrivain Philip Roth, le grand romancier du désordre sexuel et du désarroi existentiel. Anatomie d’un divorce sait qu’elle se situe sur un territoire de fiction déjà abondamment labouré. Mais la série tord peu à peu ce récit classique en l’augmentant au fil des épisodes du point de vue de l’amie de Toby, Libby (Lizzy Caplan), narratrice de la série et alter-ego de la créatrice Taffy Brodesser-Akner, ancienne journaliste dans la presse masculine (et donc fine connaisseuse de la manière dont les hommes aiment se voir représentés), également autrice du roman originel, Fleishman a des ennuis (paru chez Calmann-Lévy en 2020). Puis, ce sera le retournement de l’épisode 7, raconté du point de vue de Rachel, qui remet en perspective tout ce qui nous a été raconté depuis le début. Une façon de déconstruire un schéma narratif traditionnel en lui donnant une nouvelle résonnance, féminine et polyphonique.
5 / C’est une revanche pour le cinéma indépendant
Si le cinéma américain adulte a plus de mal à attirer le public en salle depuis quelques années, sa voix ne s’est pas éteinte pour autant. Et c’est de plus en plus dans les séries qu’on peut retrouver cette réflexion autour de toutes les questions « sérieuses » (sur l’amour, le couple, la sexualité, l’argent, l’éducation…) qui ont plus de mal s’exprimer dans les films. Significativement, on retrouve au générique d’Anatomie d’un divorce deux couples de cinéastes qui ont été révélés dans les années 2000 par des hits du cinéma indé : Jonathan Dayton et Valerie Faris (Little Miss Sunshine) et Shari Springer Berman et Robert Pulcini (American Splendor). Leur présence derrière la caméra démontre que les forces vives du cinéma américain indépendant investissent désormais aussi le camp des séries.
Anatomie d’un divorce, créée par Taffy Brodesser-Akner, avec Jesse Eisenberg, Claire Danes, Lizzy Caplan… tous les épisodes disponibles sur Disney+ (avec contrôle parental)
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