Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
UN AMOUR IMPOSSIBLE ★★★☆☆
De Catherine Corsini
L’essentiel
Catherine Corsini adapte Christine Angot pour un film un peu trop classique, mais qui fait briller l’indispensable Virginie Efira.
Cinéaste des amours empêchés et de la féminité dans tous ses états, Catherine Corsini avait sans le savoir pris date avec Christine Angot dont elle adapte Un amour impossible, récit de la relation fusionnelle entre une mère et sa fille avec, planant au-dessus d’elles, l’ombre maléfique de l’amant et géniteur absent.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
THE SPY GONE NORTH ★★★★☆
De Yoon Jong-bin
Il existe bel et bien deux versions de ce film là. La particularité, c’est qu’elles sont rigoureusement identiques. Récit d’espionnage 90’s auscultant comment les rapports entre les deux Corées se sont soudainement réchauffés (puis immédiatement refroidis) via l’entremise d’un agent infiltré, The spy gone north pouvait encore s’envisager il y a quelques mois comme la métaphore d’un échec perpétuel, un film-spirale autour d’un dialogue impossible. Sauf que fin avril 2018, les dirigeants du Nord et du Sud ont décidé qu’il serait temps de se serrer la pogne près d’un poste frontière et la scène géopolitique s’est retrouvée cul par-dessus tête, tout comme le long métrage de Yoon Jong-bin, qui venait juste d’être terminé. Ainsi, le monde qui sépare les deux « versions » de ce film, c’est tout simplement le nôtre. Le fait que le film ne se retrouve jamais ringardisé, mais toujours revitalisé, par ce coup de théâtre inouï n’est pas tout à fait un miracle, plutôt un bon indice sur son horizon de cinéma : humaniste, grande échelle et hors du temps. Qu’on le regarde comme un constat désabusé ou comme un enregistrement, par mégarde, du tout premier acte vers la réconciliation, The spy gone north reste pertinent parce que jamais obsédé par l’idée de nous renseigner sur « l’état du monde ». Comme son cousin hollywoodo-berlinois Le Pont des espions, il préfère en dessiner calmement les fluctuations et les vents contraires. Agents infiltrés, militaires zélés, dictateurs à caniche : les salauds de la veille seront peut-être les héros de demain.
François Grelet
PREMIÈRE A AIMÉ
KURSK ★★★☆☆
De Thomas Vinterberg
Kursk commence sur une belle idée : après un prologue filmé au format 4/3, l'image passe au scope lorsque le sous-marin du titre, filmé de très loin, plonge dans les flots au son d'un choeur élégiaque d'Alexandre Desplat.
Sylvestre Picard
FAMILY FILM ★★★☆☆
De Olmo Omerzu
L’explosion de la famille Ricoré. Avec la froideur d’un Yorgos Lanthimos (mais sans le malaise), la rugosité d’un Ruben Östlund (mais sans l’humour) et la pudeur d’un Joachim Trier, le deuxième film du Slovène Olmo Omerzu est une bombe à fragmentation familiale qui se désagrège au ralenti. Tout est dit dans son titre. Family Film est un long métrage dans une famille, sur la famille. Celle nucléaire en l’occurence d’Erik et Anna, dont les parents, des bourgeois CSP+ de Prague, partent faire un voyage en bateau quelques semaines avant Noël, les laissant seuls. Tout se passe bien dans cette ambiance de pub Ikea jusqu’à ce qu’évidemment tout déraille et que la couche de vernis ne se fissure. Les secrets sortent. Sans larmes, ni haine, ni violence. Il ne faudrait pas froisser le papier glacé.
Perrine Quennesson
NOUS, TIKOPIA ★★★☆☆
De Corto Fajal
« Tikopia n’existe pas, elle n’est pas sur la carte ! », s’exclame un bambin. Stupeur chez cet écolier, se rendant compte que la minuscule île qu’il habite est perdue en plein milieu du Pacifique et n’apparaît pas sur le globe de sa classe. Nous, Tikopia est un documentaire à plusieurs voix, immersion dans une tribu inconnue peuplant une île majestueuse. Le réalisateur y dissèque minutieusement les us et coutumes de ces autochtones bloqués entre les traditions millénaires et l’arrivée lente de la technologie. Il fait aussi état du commerce international et du tourisme, maux nécessaires pour une population dont la culture et la vie restent ancrées dans le passé. Seul bémol : la voix théâtrale d’une narratrice qui gâche une immersion totale dans cette oeuvre enrichissante.
François Rieux
SAMOUNI ROAD ★★★☆☆
De Stefano Savona
Installée dans la périphérie rurale de Gaza depuis des décennies, la famille Samouni a subi un véritable cataclysme en 2009. Vingt-neuf de ses membres se sont fait abattre par l’armée israélienne. Leurs champs, leurs maisons, leurs arbres ont disparu. Alors qu’Amal et d’autres enfants rescapés tentent de se reconstruire, Stefano Savona recueille leurs témoignages parcellaires en les illustrant avec des séquences dessinées sur carte à gratter : les hachures blanches gravées sur fond noir viennent combler les béances de l’oubli, comme c’était le cas des figurines en terre cuite dans L’image manquante de Rithy Panh (2013). Moins radicale que chez le cinéaste franco-cambodgien, plus littérale, cette hybridation entre documentaire et animation produit néanmoins quelques belles échappées oniriques.
Eric Vernay
RUMBLE : THE INDIANS WHO ROCKED THE WORLD ★★★☆☆
De Catherine Bainbridge et Alfonso Maiorana
Ce documentaire met en lumière la contribution des musiciens amérindiens à la musique américaine, pan peu connu de la culture populaire U.S. Du blues (Charley Patton) au rock (Link Wray, Jimi Hendrix, Robbie Robertson), en passant par le jazz (Mildred Bailey) et le folk (Buffy Sainte Marie), le film dévoile la manière dont certaines icônes musicales d’origine amérindienne ont influencé en profondeur leur temps et leur art. Mélangeant interviews, images d’archives et extraits de concerts, Rumble offre une autre vision de la musique du XXème siècle. Martin Scorsese et de nombreux musiciens -parmi lesquels Taj Mahal, Slash (Guns N’ Roses), Iggy Pop, Wayne Kramer (MC5), Quincy Jones, Buddy Guy et Tony Bennett- prennent tour à tour la parole pour rendre hommage à ces hommes et ces femmes sans lesquels la musique américaine n’aurait pas été la même. Le documentaire aurait pu expliciter davantage l’apport proprement musical du peuple amérindien. Ce point mis à part, Rumble est un documentaire intéressant et plaisant, dont les portraits de musiciens et la bande-son raviront sans aucun doute les mélomanes.
Maxime Grandgeorge
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
UN HOMME PRESSÉ ★★☆☆☆
De Hervé Mimran
Il y a quelque chose relevant de la mise en abyme dans le fait de confier à Fabrice Luchini, maître de l’éloquence et du bon mot, le rôle d’un homme d’affaires perdant l’usage correct de la langue à la suite d’un AVC. Empêché, l’acteur bredouille, parle en verlan (une habitude chez lui, certes), remplace un mot par un autre (grossier de préférence, c’est plus comique)... Le résultat est dans un premier temps efficace mais l’argument finit par tourner en rond, voire par irriter -l’abus de verlan est mauvais pour la santé du spectateur. Reste la relation, en mode “Intouchables” (je t’apprivoise, tu m’apprivoises), entre Luchini et Leïla Bekhti, son orthophoniste un peu dépressive, qui fournit au film quelques jolis moments d’émotion. On n’en reste pas sans voix non plus.
Christophe Narbonne
HIGH LIFE ★★☆☆☆
De Claire Denis
Dans un avenir proche, des condamnés à mort sont rassemblés dans un vaisseau, partis dans un voyage sans retour : aborder les trous noirs pour permettre d'exploiter leur énergie. Mais les tensions -sexuelles et sanglantes- vont éclater. De la même façon que les prisonniers flirtent avec la mort, High Life frôle forcément l'horizon du nanar spatial avec décors en carton-pâte et ciel étoilé de studio. Mais l'astre le plus pesant du film, qui exerce sur lui la gravité la plus forte, est la personnalité de Claire Denis : le vaisseau-prison de High Life finit par prendre les dimensions de l'appartement haussmanien des Salauds où l'on baise et l'on se saigne par ennui, par vague-à-l'âme, parce que c'est sans doute dans la nature humaine. L'ouverture du film, où Robert Pattinson s'occupe de son bébé autour d'un jardin artificiel, est d'une légère simplicité, est sans doute la plus passionnante ; malheureusement la suite est beaucoup plus conventionnelle, prévisible, et, malheureusement, ronflante. On y découvre comment l'équipage se massacre autour d'une doctoresse manipulatrice, nymphomane et obsédée par l'idée de faire pousser des bébés dans l'espace (Juliette Binoche, surnommée dans le dialogue la « chamane du sperme », fait plonger le film lors d'une séance de masturbation hallucinatoire). On se dit que finalement, ce n’était pas la peine de partir si loin pour essayer de transformer notre suicide collectif en une grande partouze finale : ça pouvait tout aussi bien se passer sur notre bonne vieille Terre.
Sylvestre Picard
HEUREUX COMME LAZZARO ★★☆☆☆
D’Alice Rohrwacher
Le spectateur est d’emblée plongé dans une nuit épaisse. Des hommes s’approchent d’une maison et se mettent à chanter une sérénade. A l’intérieur, une famille. La caméra attend le lever du jour et part visiter la baraque décrépie. Cette maison, et le pays qui l’environne, c’est l’Italie éternelle, pauvre et insouciante, où cette drôle de colonie survit à l’écart du monde. Entre la poésie bucolique et le comique populaire (mélange harmonieux de Pasolini et de Scola) on va alors suivre le personnage central, Lazzaro, un jeune garçon mutique qui travaille aux champs et traverse des paysages édéniques. Mais brutalement, Lazzaro meurt. A son réveil, les bagnoles ont remplacées les carrioles, le servage est aboli, la famille a vieillie et les anciens paysans bouffent en fouillant les poubelles. Seul Lazzaro n’a pas changé, incarnation éternelle du rêve et de l’imaginaire dans une société devenue stérile. En basculant dans le futur, le film devient un manifeste un peu trop appuyé sur la décroissance où le style pseudo-documentaire a remplacé la clarté lumineuse du début. La parabole est lourde et incompréhensible. La cinéaste suit-elle les traces d’Hugo (et son « Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève toi » qui appelait à l’insurrection du peuple), de Dostoievski (le Lazare salvateur) ou de Cayrol (peut-on encore créer après la destruction) ? Rohrwacher semble paumée, mais son film prouve, après ceux de Garrone et de Sorrentino, que le cinéma italien tente par le conte de conjurer les toxines fascistes qui polluent son histoire politique.
Gaël Golhen
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE ★☆☆☆☆
De Drew Goddard
Six ans après l'excellent La Cabane dans les bois (2012), film d'horreur à (très, très gros) twist qui déterrait avec bonheur les monstres de la pop culture (comme Cloverfield qu'il a co-écrit), on attendait beaucoup du deuxième film de Drew Goddard, d'autant que le pitch était tellement classique qu'il en était alléchant.
Sylvestre Picard
CRAZY RICH ASIANS ★☆☆☆☆
De Jon M. Chu
Adoré par la critique branchée pour le style alerte avec lequel il emballe des produits de consommation courante (GI Joe : Conspiration, Justin Bieber : Never say never…), Jon M. Chu a décroché la timbale avec son Crazy Rich Asians, gros carton au box-office US qui fera date, puisqu’il s’agit du premier film de studio porté par un casting 100% asiatique depuis Le Club de la Chance (Wayne Wang, 1993). Ce triomphe aurait dû être un moment d’allégresse générale, où tout le monde (le public, la presse, l’industrie) se congratule dans un grand éclat de rire. Problème : Crazy Rich Asians est une comédie romantique vieillotte, invertébrée, jamais drôle, un éloge écœurant du fric et du bling-bling. Précision linguistique d’importance : le titre ne signifie pas « De riches asiatiques complètement cinglés », mais des « Asiatiques riches de ouf ». Tout de suite, c’est moins sympa.
Frédéric Foubert
Et aussi
Balto chien-loup, héros de neiges de Simon Wells
Les Yatzkan de Anna-Célia Kendall Yatzkan
Reprises
La nuit des forains d’Ingmar Bergman
Le graphique de Boscop de Georges et Sotha Dumoulin
Rétrospective Jean-Paul Rappeneau
Commentaires