Notre-Dame Brûle - Jean-Jacques Annaud
Mickael Lefevre – BSPP

Le désir de grand cinéma populaire de Jean-Jacques Annaud se heurte à une pauvreté d'écriture qui ne parvient pas à dramatiser réellement l'incendie de 2019.

TMC profite de la réouverture de Notre-Dame, inaugurée par Emmanuel Macron ce week-end entouré de plusieurs chefs d'Etat, pour proposer une soirée spéciale consacrée à la cathédrale parisienne. La chaîne proposera d'abord Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud (Le Nom de la Rose, Sept ans au Tibet...), puis un documentaire dédié aux ouvriers qui ont aidé à reconstruire ce lieu historique.

Le film vaut-il le coup ? Voici la critique de Première.

Lorsque Notre-Dame de Paris a brûlé, le 15 avril 2019, certains y ont vu plus qu'un incendie : un fait de civilisation. Si la cathédrale a cramé, se disent-ils, c'est décidément que quelque chose allait mal dans notre beau pays, menacé par les flammes de la décadence et sauvé par une élite de guerriers de la lumière. Bref, il s’agit encore et toujours de projeter une vision du monde sur un événement, ce qui en dit toujours plus sur ceux qui en parlent que sur l’état de l’alarme incendie des joyaux du Centre des Monuments Nationaux (le 5 février 2019, dix personnes mouraient dans un incendie allumé par une déséquilibrée dans le 16ème arrondissement, ce qui a moins fait parler les éditorialistes).

Notre-Dame brûle cherche à faire de cet événement un fait de cinéma, en le transformant en un combat spirituel (sauver un lieu sacré) et civilisationnel (sauver un lieu français qui appelle à l’universel). Ce n’est pas une exagération critique de notre part, c’est bel et bien ce que dit et montre le film -auquel on ne reprochera certainement pas de vouloir transformer un événement dramatique en grand film populaire, entendons-nous bien. Mais au fond, que tout cela se soit réellement passé ainsi importe peu : il s'agit d'abord de réaliser un bon film de fiction. Et de ce côté-là, ce n'est pas franchement réussi.

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Excitant et tendu lorsque Jean-Jacques Annaud suit les pompiers au plus proche du feu, montrant bien la peur, la douleur, la chaleur, et la difficulté de progresser face au brasier, Notre-Dame brûle dévisse complètement côté écriture. Malgré la présence d’un scénariste confirmé (Thomas Bidegain, auteur à son meilleur d’Un prophète ou Les Cowboys) au script, rien ne paraît crédible. L’agent de sécurité qui tient le téléphone à un mètre de son oreille quand sa femme l’engueule de rester tard au travail, l’apparition christique d’un aumônier sauvant les hosties des flammes (et bénissant au passage un jeune pompier d’origine maghrébine épaté par le courage du padre), Trump (joué par un sosie filmé de dos) tweetant depuis la Maison Blanche, Anne Hidalgo (dans son propre rôle et son propre bureau) voyant les flammes de sa fenêtre, le running gag de la vieille dame appelant les pompiers pour sauver son petit chat coincé sur un toit alors que le standard explose… Tout cela évoque la (mauvaise) bande dessinée, un cinéma de cases figées, de vignettes découpées, isolées et souvent absurdes. En quelques mots : des éclairs de bravoure technique noyés dans une true story éparpillée, fragmentée, aux accents à la fois burlesques et bondieusards.

Le script sert pourtant sur un plateau des graines de héros (l’agent de sécurité qui effectue son premier jour lors de l’incendie, des jeunes pompiers pendant leur -littéral- baptême du feu) au gros potentiel cinématographique, mais dont on se désintéressera très vite. Stalingrad, l’un des meilleurs Annaud, déformait absolument la réalité historique, et c’était nécessaire puisque cela se faisait au profit de la fiction et de l’action. Peut-être du fait de la proximité de l’évènement, Notre-Dame brûle ne veut rien déformer (le film est bourré de vraies images tournées par les spectateurs de l’évènement, contribuant à la fragmentation du récit et son absence de force directrice). Et donc, pas celui de la fiction : le film contextualise gravement l’évènement, rappelant qu’Emmanuel Macron devait prononcer ce soir-là un discours sur les Gilets jaunes (un extrait d’un JT rappelle que "le quinquennat se joue ce soir"), et l’incendie de la cathédrale a tout bouleversé. Mais là aussi c’est un angle mort du film, restant sur l’inconséquence du président mis de côté dans la chaîne de décision, grâce aux pompiers qui ont monté un faux poste de commandement à son intention afin qu’il foute la paix aux soldats du feu -et c’est l’une des meilleures scènes du film. Peut-être, au fond, que le film est aussi bien trop court pour pouvoir évoquer tout ce qu’il veut -la France des Gilets jaunes, le combat des pompiers, le monde interconnecté où le moindre drame s’éparpille et se disloque dans le chaos des réseaux... Ou peut-être bien qu’au fond, le drame de Notre-Dame n’était pas aussi dramatique ou intéressant qu’on veut nous le faire croire.


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