La version rediffusée ce dimanche sur Arte est celle de 1956 avec Doris Day et James Stewart.
La septième chaîne programme L'Homme qui en savait trop, un thriller d'Alfred Hitchcock qui était en compétition sur la Croisette en 1956, mais qui n'a rien gagné : cette année-là, c'est Le Monde du Silence, de Jean-Yves Cousteau et Louis Malle, qui a remporté la Palme d'or. L’histoire est celle d’un couple, interprété par Doris Day et James Stewart, qui est malgré lui impliqué dans un complot international dont il ne peut s’extirper sans risquer la vie de son enfant.
De son ouverture "mortelle" au Maroc à sa scène de tension à l'opéra en passant par la double interprétation de "Que Sera, Sera" par la chanteuse devenue comédienne, L'Homme qui en savait trop est rempli de scènes cultes. Comme à son habitude, le cinéaste y fait un caméo : à la 25e minute, il apparaît dans la scène du marché en train d'observer des acrobates... et tourne le dos à la caméra !
"Ne soyez pas diaboliques" : le message anti-spoilers de Clouzot qui a inspiré HitchcockUn film de suspense diablement efficace, qui reprend directement la trame principale, et le titre, d'une œuvre de jeunesse d'Hitchcock. La première version de L'homme qui en savait trop date de décembre 1934 (le cinéaste a alors 35 ans) et est portée par Leslie Banks, Edna Best et Peter Lorre (déjà célèbre pour son rôle de tueur dans M le Maudit, l'acteur venait de fuir l'Allemagne hitlérienne pour s'installer en Angleterre).
A l'époque, le réalisateur tourne des films depuis une dizaine d'année déjà, mais commence seulement à mettre en scène des œuvres parlantes. Sa première est Chantage, créée en 1929 à partir d'une pièce de Charles Bennett. Les deux hommes s'entendent si bien que le réalisateur propose à l'écrivain de travailler sur plusieurs scénarios en parallèle. Il imagine notamment une histoire de conspiration internationale suite à l'enlèvement d'un nourrisson, qui, après quelques transformations, devient l'intrigue de L'homme qui en savait trop.
Le titre est tiré d'un recueil de nouvelles de G.K. Chesterton, qui plaisait à Hitchcock et qui pouvait l'utiliser car il avait acquis les droits de plusieurs récits du livre, mais son film n'a finalement rien à voir avec cette œuvre de 1922. La fameuse scène de l'opéra, avec sa cymbale tonitruante qui doit couvrir le bruit d'un coup de feu, s'inspire d'un cartoon des années 1920 de H. M. Bateman intitulé The One-Note Man, racontant le quotidien d'un musicien chargé de ne jouer qu'une seule note lors d'un concert symphonique.
L'homme qui en savait trop reçoit un bel accueil, aussi bien critique que public, si bien qu'au milieu des années 1950, quand ses producteurs de la Paramount lui demandent une idée de projet dans le cadre d'un contrat de plusieurs films, il évoque ce projet de remake, qui lui trotte dans la tête depuis quelque temps déjà. Vingt ans après le succès de l'original, sa carrière a décollé grâce aux cartons des 39 marches, de Rebecca ou des Enchaînés et il tourne à présent de plus grosses productions loin de Londres, à Hollywood.
Il propose à James Stewart, qu'il a déjà filmé dans La Corde et Fenêtre sur Cour, et à Doris Day, qu'il a appréciée dans Storm Warning, les rôles principaux : le casting de cette dernière demandera quelques négociations car pour la production, elle est avant tout chanteuse, et non actrice. Hitchcock utilisera d'ailleurs ce talent en lui demandant d'interpréter deux fois le morceau "Que Sera, Sera". Une bonne idée, après coup, l'équipe remportant l'Oscar de la meilleure chanson pour ce film.
Le scénario est signé par John Michael Hayes (Fenêtre sur cour, La Main au collet), qui reçoit pour consigne de ne pas regarder la version originale et d'écrire son intrigue seulement à partir des indications donnés par le cinéaste. Plusieurs scènes clé sont donc largement modifiées, notamment la fin, mais le choix musical lors de la scène de l'opéra reste le même : en 1934, Hitchcock avait engagé Arthur Benjamin pour rythmer sa séquence du Royal Albert Hall, et quand il embaucha Bernard Herrman pour composer la BO de son remake, l'artiste décida de conserver cette création originale intitulée "Storm Clouds Cantata" et de seulement la rallonger afin que la scène de suspense gagne en intensité. Elle dure finalement 12 minutes et s'avère particulièrement efficace.
En 1967, au cours de leur longue conversation cinéphile, François Truffaut fait remarquer à Alfred Hitchcock que L'homme qui en savait trop de 1956 est "bien supérieur" à sa version originale. "Disons que le premier film était le travail d'un amateur talentueux et que le second a été fait par un professionnel", répond son créateur, amusé.
Hitchcock/Truffaut : les conversations secrètes
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