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Alors que la notion même de Nouvel Hollywood s’évapore de plus en plus, Steven Spielberg assume sans complexe son statut de cinéaste du XXe siècle en citant une fois de plus John Ford dont il semble, depuis Lincoln et Cheval de guerre, reproduire ou prolonger méthodiquement quelques films à sa propre manière. Cette fois, en défendant la liberté d’informer face à un pouvoir qui règne par la force et l’intimidation, il renvoie à L’homme qui tua Liberty Valance. Sauf qu’à la place d’un avocat qui s’associe à un journaliste, c’est une directrice de journal qui, avec l’aide d’un rédacteur en chef, prend le risque d’alerter l’opinion sur l’un des plus gros scandales d’État précédant le Watergate.
DILEMME MORAL
L’affaire démarre quand un ancien reporter de guerre met la main sur un rapport commandité par le secrétaire à la défense, Robert McNamara (auquel Errol Morris a consacré l’exceptionnel documentaire The Fog of War, qu’il serait intéressant de consulter en complément de programme). Le rapport prouvait que les présidents successifs savaient que la guerre du Vietnam était sans issue, mais qu’ils persistaient à envoyer la jeunesse américaine au casse-pipe uniquement pour une question de fierté nationale. Lorsque les journalistes dirigés par l’intransigeant rédacteur en chef du Washington Post, Ben Bradley (Tom Hanks), récupèrent les documents, ils se trouvent face à un dilemme moral : faut-il divulguer ces informations pour le bien public au risque de transgresser la loi qui protège les secrets d’État ? Les enjeux sont multiples, et Spielberg et ses scénaristes ont pris soin de les exposer sous un jour facilement compréhensible par un public contemporain. Pour commencer, le film décrit avec précision le pouvoir dont pouvaient disposer les journaux indépendants dans les années 60-70. Par comparaison, l’affaiblissement continuel de la presse d’aujourd’hui apparaît comme un danger pour la démocratie. C’est le message que semble vouloir faire passer le coscénariste Josh Singer, un spécialiste du journalisme qui avait traité l’affaire Julian Assange dans Le Cinquième Pouvoir, et plus récemment les cas de pédophilie révélés par le Boston Globe dans Spotlight. Lequel sonnait déjà l’alerte sur une forme de journalisme menacée de disparition.BOUCLAGE TECHNIQUE
Il y a aussi en filigrane un message anti-Trump dans Pentagon Papers, qui défend une institution (la presse indépendante) et un symbole (une femme de pouvoir), autant d’ennemis du président actuel. L’ironie est d’autant plus forte que la directrice du Washington Post est interprétée par Meryl Streep, laquelle a dit publiquement et avec force tout le mal qu’elle pensait du dirigeant qui se moque des infirmes. De fait, le film surfe bel et bien sur la vague féministe actuelle en mettant en avant une femme exceptionnelle, dans le sens où elle est seule à pouvoir prendre des décisions cruciales dans un monde encore dirigé par des hommes. Spielberg orchestre le suspense comme il sait le faire, ce qui donne lieu à plusieurs pics de tension prodigieux. Il offre aussi à son actrice une scène mémorable (et presque trop appuyée) lorsqu’elle descend les escaliers après avoir délibéré avec une assemblée exclusivement masculine. À son passage, une haie de femmes s’écarte avec un mélange de respect, de crainte, de fierté et d’envie. Le texte dispense aussi son lot de répliques frappantes, comme celle de Tom Hanks affirmant que la presse « ne doit pas être au service des gouvernants mais des gouvernés ».TENSION À LA RÉDACTION
En détaillant le fonctionnement d’un journal tel qu’il se faisait à l’époque, Spielberg ne met pas seulement en valeur les journalistes qui vont chercher l’information, mais également toute la chaîne de fabrication, depuis les correcteurs jusqu’aux livreurs en passant par les ouvriers d’imprimerie. Là encore, il l’illustre à l’occasion d’un suspense invraisemblable : l’équipe entière a seulement huit heures pour classer, assimiler et traiter une somme colossale de documents avant l’échéance du bouclage technique. Le pari semble impossible, mais rien ne doit arrêter la presse, qui dans ce cas (d’urgence) porte bien son nom.