- Première
Vous connaissez Racka Racka, cette chaîne Youtube complètement délirante dans laquelle deux frères australiens tournent avec des stars du porno, se battent en tenues de Jedi dans des lieux publics et s’incrustent dans des Burger King déguisés en Ronald McDonald ? Rien ne prédestinait sur le papier les deux frangins en question, Danny et Michael Philippou, à réaliser un long-métrage d’horreur, produit et tourné sur le sol australien. Sauf que lors de sa présentation au Marché du Film cannois l’année dernière, La Main (Talk to Me en VO) a d’emblée fait sensation, tout comme lors de sa première mondiale au Festival de Sundance en janvier 2023. Le succès est foudroyant, ce qui vaut à Universal et A24 de se battre pour s’emparer des droits américains. C’est finalement la firme indépendante, qui vient alors de triompher en salles avec Everything Everywhere All at Once, qui empoche la mise.
Le film réussit haut la main (!) son pari. Plutôt que de tenter de percer le secret d’une jeunesse adolescente tourmentée et avide de sexe à l’outrance, les frères Philippou préfèrent montrer une génération plus terre à terre, prise dans la boucle infernale de la quotidienneté et cherchant des distractions putrides pour sortir de l’ennui jusqu’à ce qu’intervienne… une main en plâtre, provenant de Dieu sait où, pour venir distraire cette jeunesse en folie. Personne n’y croit de prime abord, mais cette main est bel et bien affublée d’un pouvoir : elle transforme drastiquement la personne qui la serre, altérant son comportement et peinturlurant ses yeux en blanc. Seule règle immuable : il ne faut pas la tenir plus d’un certain temps, sous peine de rester bloqué indéfiniment dans un cosmos des enfers. Comme dans tout bon film d’horreur qui se respecte, les choses ne vont pourtant pas se passer comme prévu.
Comme dans les vidéos Racka Racka, n’est aucunement question ici de prendre les choses trop au sérieux et d’expliquer les origines de la main, mais plutôt de jouer avec un dispositif réflexif autour des thèmes de prédilection du cinéma d’horreur. Pour y parvenir, les frères Philippou jouent avec la question du double, dans une mouvance presque kafkaïenne, avec des adolescents se dédoublant au contact de la main, devenant des créatures impossibles à distinguer de leur véritable enveloppe corporelle. Des doubles inavoués d’eux-mêmes, cédant alors malgré eux à une panique adolescente et générationnelle. Au centre de tout cela, on trouve Mia, seule personnage réellement tourmentée (et dont le passé est véritablement exploré). Après la mort de sa mère au cours de sa jeunesse, la dualité a toujours été au centre de sa vie, partagée entre son père, homme solitaire qui tente tant bien que mal de protéger sa fille, et la famille de sa meilleure amie Jade, dont elle envahit l’espace personnel au point qu’on pense, au tout début de l’histoire, qu’il s’agit en réalité de deux sœurs. C’est à cet endroit précis que se trouve la force du film : montrer le monde pourri de l’adolescence, exposer ses amours et ses troubles hétérogènes, brouiller les pistes des relations et réussir à émouvoir en reliant toute cette ribambelle de sentiments à cette main plâtrée, forme d’exutoire à une violence physique et psychologique impétueuse.
Derrière cette étude, La Main installe un climat de terreur avec trois fois rien et réussit conjointement à sonder le phénomène de la dépendance, avec une main dégageant un tel pouvoir addictif qu’une relation sadomasochiste vient se créer avec celui qui la tient. Si l’architecture de la narration reste un brin simpliste et les personnages manquent un peu de profondeur, impossible de bouder son plaisir devant ce bel objet qui vient donner un sérieux coup de fouet à une production horrifique sérieusement en berne.
Yohan Haddad